Un Ballo in maschera - Verdi - 16 janvier 2018 Opéra de Paris Bastille.
Un Ballo in maschera
Giuseppe Verdi
Livret de Antonio Somma
Création : 1859
Direction musicale : Bertrand de Billy
Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors et costumes : William Orlandi
Lumières: Joël Hourbeigt
Chorégraphie :Micha Van Hoecke
Riccardo: Piero Pretti
Renat: Simone Piazzola
Amelia: Sondra Radvanovsky (16 > 31
janvier) / Anja Harteros (3, 6, 10 février)
Ulrica : Varduhi Abrahamyan
Oscar: Nina Minasyan
Silvano: Mikhail Timoshenko
Samuel: Marko Mimica
Tom: Thomas Dear
Giudice: Vincent Morell
Servo d'Amelia: Hyoung-Min Oh
Première du 16 janvier 2018 à Paris
Bastille.
Dans une mise en scène sinistre, sans
direction d’acteur, avec un chef d’orchestre très inégalement inspiré, il
fallait tout le génie de Sondra Radvanovsky pour que la soirée soit marquée
d’une pierre blanche.
Alors une fois n’est pas coutume je vais
commencer par saluer son exceptionnelle prestation que je vais garder
longtemps, très longtemps en mémoire.
Cela fait la cinquième fois que je vois
Sondra Radvanovsky en salle (je précise tout de suite que les retransmissions
ne lui rendent pas justice, il faut aller l’entendre en vrai) : Norma à Munich
il y a quelques années puis Tosca toujours à Munich, Aida à Paris Bastille en
2016 et lors du concert du 21 juin 2016 toujours à la Bastille. Je l’ai par
ailleurs vue en retransmission du MET pour Robert Devereux (l’année où elle
avait chanté les trois Reine de Donizetti) et cette année en Norma, à la
rentrée où elle remplaçait avec bonheur Anna Netrebko (voir mes impressions sur
ce blog).
Sondra Radvanovsky comme Anja Harteros et
Sonya Yoncheva (je ne parle que des sopranos contemporaines...), fait partie de
cette catégorie de sopranos qui sait tout faire passer par sa voix. Elle peut
rester immobile, figée dans une attitude solennelle, à peine penchée sous le
poids de la douleur, et vous arracher des frissons d’émotion puis des larmes.
Hier soir dans son rôle d’Amelia, elle a
donné une véritable leçon de chant doublée d'une capacité à créer l'émotion au
travers de sa voix, absolument fabuleuse, que je vérifie à chaque fois que je
l'entends. Tout y est : timbre très particulier (qui me fait beaucoup d'effets)
qu'elle sait magnifiquement colorer, mezzo voce, aigus pris pianissimo et
enflés progressivement jusqu'au fortissimo dans une grande unité de style,
legato, sens infini des nuances, variations de ton permettant de percevoir ses
hésitations, ses peines, ses espoirs... bref, c’est à un niveau tel de
perfection que personne d’autre sur le plateau n’avait la moindre chance de se
faire remarquer.
Dès son arrivée, le regard se fixe sur sa
silhouette altière. Dès qu’elle ouvre la bouche, on bascule dans le monde
d’Amelia, celui de son drame de femme amoureuse d’un autre (Riccardo, le ténor)
que son mari (Renato, le baryton), qui veut un filtre magique qu’elle demandera
à la sorcière (Ulrica, la mezzo) pour que son coeur oublie cet amour.
Son Ma
dall'arido stelo divulsa à l’acte 2 puis son “Morrò, ma prima in grazia » sont à se damner (et suivis
d’intenses ovations du public). On réclamerait bien un bis mais ça ne se fait
pas....
C’était l’autre immense Amelia de notre
époque, Anja Harteros, qui devait assurer cette Première. J’espère pouvoir la
voir en février où elle est prévue au début du mois avant de reprendre le même
rôle à Munich où elle a triomphé il y a deux ans, à juste titre.
Je pense que ce ne sera ni le même style,
ni tout à fait la même interprétation, c’est le propre des artistes immenses
que de mettre une partie de leur personalité au service de leur chant et,
franchement, côté grandes sopranos, en ce moment, nous sommes gâtés. Inutile de
regarder vers le passé....
Sondra Radvanovsky domine tellement le
plateau qu’elle relativise les performances de ses partenaires qui ne sont pas
du tout à son niveau technique et émotionnel.
Soulignons quand même avec enthousiasme la
performance étourdissante de la jeune Nina Minasyan en Oscar. Elle est à suivre
de très près : elle virevolte sur scène, a une voix très souple et très joli
qui vocalise à merveille, Bastille ne lui pose aucun problème, bref... géniale
!
Piero Pretti en Riccardo ne s'en sort pas
mal : brillant et sonore, il négocie plutôt bien ses grands airs (“Di' tu se fedele” en particulier) et est
à l'aise sur scène mais il chante quand même souvent en force, cela manque de
nuances, de legato etc..., et il est évidemment un peu écrasé par la
supériorité vocale et technique, le métier fantastique de Radvanovsky. Leur
interaction est un peu faible (manque de répétitions?) et même s’il a le sens
de la scène, l’absence manifeste de consignes de la part du metteur en scène,
l’embarrasse manifestement à plusieurs reprises sur ce grand plateau
généralement très vide.
Varduhi Abrahamyan en Ulrica, était
clairement sous-dimensionnée et je n'ai pas trouvé le chant très beau, assez
plat malgré un joli timbre et peu convaincue par son propre rôle.
Campant une Ulrica assez fade (c'était Okka
von der Damerau à Munich avec Harteros, Beczala et Pétean et c'était autre
chose...), elle rend une grande partie du second tableau de l’acte 1, assez
insipide et sans relief. On se félicite de l’incursion du jeune Mikhail
Timoshenko en Silvano qui donne vie à la scène un court instant (à suivre aussi
celui-ci).
Que dire de la prestation de Simone Piazzola
dans le rôle important de Renato ? Le rôle n'est pas du tout dans sa pointure :
outre un timbre mat lui aussi, à la projection insuffisante, il ne chante pas
"Verdi", pas de legato, pas de mezzo voce, un chant uniforme. Comme
il n'est pas un acteur-né (ceux qui l'ont vu remplaçant Tézier dans la Forza à
Munich savent de quoi je parle) et qu'il n'y avait aucune direction d'acteur
dans cette mise en scène sinistre, il n'entre jamais vraiment dans son
personnage. Je pense que Bastille n'est pas pour lui de toutes façons (il avait
chanté un Germont père limite également il y a deux ans). Il a été légèrement hué-sifflé
aux saluts malgré un air final (« Eri tu
che macchiavi quell'anima ») assez sensible et mieux chanté qui ne
rattrapait pas les insuffisances globales. La confrontation avec Radvanovsky
est cruelle....
La direction musicale de De Billy est inégale,
globalement trop lente et trop lourde même si la deuxième partie était bien
meilleure que la première.
Car ça a vraiment mal démarré : ouverture
trop lente, couac d'un instrumentiste à la cinquième mesure (qui a du
déstabiliser un peu le chef...), décalages permanents avec les choeurs puis les
chanteurs (Oscar comme "poursuivi" par l'orchestre avant de se
re-caler) bref, j'étais assez inquiète. Par la suite sans devenir génial
(notamment avec pas mal de lourdeurs), c'était plus correct.
Très beaux choeurs.
La mise en scène de Deflo plaira aux
amateurs de clacicissme sans autre condition mais pas à ceux qui considèrent
que l’opéra c’est aussi du théâtre. Certes les décors monstrueux (et
sinistres...) représentent chaque tableau assez fidèlement, mais mis, à part le
dernier tableau, celui du bal qui esthétiquement est très réussi
essentiellement du fait des costumes extrêmement élégants et colorés, le reste
est sombre et a le désavantage de laisser le plateau très vide. Je trouve
vraiment agaçant qu'un metteur en scène prévoit des décors tellement compliqués
à changer au milieu d'un acte qu'il inflige aux musiciens de l'orchestre et aux
spectateurs de longs temps morts de 3-4 minutes qui "cassent" le fil
musical et dramatique. C'est une incompréhension totale de ce qu'est la progression
dramatique et l'importance d'entrer dans une histoire sans être brusquement
distrait par ces fausses pauses.
Si encore les décors étaient époustouflants
! Mais c'est très quelconque...(et très laid).
A ces défauts se rajoute l’absence
totalement de direction d’acteurs : Deflo ne pense pas “théâtre” du tout. La
plupart du temps les chanteurs se campent devant les spectateurs, à l’ancienne
et déclament leurs airs. Les plus doués prennent des postures adéquates, autant
que faire se peut (prix spécial à Oscar de ce point de vue qui se débrouille
très bien toute seule....), mais les autres errent un peu sur le plateau sans
oser les gestes et les mouvements qui permettent d’incarner l’action et de
faciliter, ce faisant , leur interprétation et l’interaction avec le public.
J’ai trouvé que cette mise en scène
résumait bien quelques erreurs à ne surtout pas commettre à l'opéra...Son
avantage c’est qu’elle n’a pas été huée.
Tout est relatif ....
Les petits plus du Blog
Le Riccardo de référence : Luciano
Pavarotti
Version complète....
Le DVD de Munich : Anja Harteros, Piotr
Beczala, Georges Petean.
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