Retour sur Andrea Chénier - Giordano - Munich -Séance du 8 décembre 2017

Andrea Chénier

Umberto Giordano

Retour sur la production de Munich, reprise.
Séance du 8 décembre 2017

 Détail de la distribution pour cette reprise de fin novembre début décembre

Direction musicale : Marco Armiliato

Mise en scène
Philipp Stölzl

Décors
Philipp Stölzl
Heike Vollmer

Costumes
Anke Winckler

• Andrea Chénier Jonas Kaufmann
• Carlo Gérard George Petean
• Maddalena di Coigny Anja Harteros
• Bersi, Mulattin Rachael Wilson
• Gräfin von Coigny Helena Zubanovich
• Madelon Larissa Diadkova
• Roucher Andrea Borghini
• Pietro Fléville Johannes Kammler
• Fouquier-Tinville Christian Rieger
• Mathieu Tim Kuypers
• Abbé Ulrich Reß
• Incroyable Kevin Conners
• Schmidt / Haushofmeister Callum Thorpe
• Dumas Alexander Milev


L’opéra de Munich a fait de cette production, une des vitrines de l'année 2017 sur deux saisons. La première représentation en mars 2017 avait été retransmise sur la radio bavaroise, puis l’une des représentations avait été filmée et retransmise en livestream par l’opéra lui-même. Le festival de Juillet reprenait deux séances avec la même prestigieuse distribution. 

Et enfin, la saison suivante proposait encore quatre représentations en novembre-décembre avec un autre chef d’orchestre et un autre baryton pour incarner Carlo Gérard.

Programme cartonné de luxe, distribution de la déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen par un “sans-culotte” plus vrai que nature, ambiance révolutionnaire, tout était fait pour informer un public munichois moins en phase avec cette épisode historique que nous.
Et de ce point de vue, on ne peut que répéter à quel point la production de Stölzl est un vrai bijou de précisions iconographiques et de beauté plastique d’une Révolution qui garde ses principaux aspects : l’omniprésence du peuple et la lutte entre les sans-droits et l’aristocratie.

Le choix du metteur en scène et du décorateur-costumier, est de ce point de vue, particulièrement séduisant : la scène est découpée systématiquement en plusieurs niveaux et pièces représentées ce qui fait qu’on peut avoir tout à la fois les domestiques s’affairant dans les sous-sols pendant que l’aristocratie mène le bal à l’étage, puis les sous-sols où Chénier se cache et les bureaux où le tribunal révolutionnaire reçoit les plaintes, demandes et dénonciations, Chénier sortant sur un grand escalier extérieur où monte la foule saluant Robespierre et agitant des drapeaux, Chénier torturé en sous-sol après son arrestation et Carlos Gérard chantant “patria mia” à l'étage au dessus, Chénier attendant son exécution, rejoint par Maddalena au cachot tandisqu’on dresse au dessus de leurs têtes, la guillotine...
Lors de cette dernière reprise, quelques modifications ont été apportées par rapport aux premières séances en mars-avril (pour le politiquement correct du DVD à paraitre sans doute) : suppression de la tête de Chénier sur une pique et de la pendaison du curé, le duo Kaufmann-Harteros lors de leurs retrouvailles secrètes se situe entièrement hors de la cave où ils se retrouvent et se déroule sur le devant de la scène. Le fameux air du ténor “Si fui Soldato” au Tribunal révolutionnaire est également négocié différemment : Chénier s'avance menaçant vers la table où siège Fouquier-Tinvile, est repoussé violemment par un garde national, tombe au sol, roule au bas de l'estrade vers le public et commence son aria ainsi allongé avant de se redresser, de se mettre debout, de ramasser le drapeau et de le brandir au dessus de sa tête, tout cela sans arrêter de chanter (“...e una bandiera trionfale”), en colère et indigné. Performance de chanteur et d'acteur (et même de sportif) dont Jonas Kaufmann raffole...
C’est conforme à l'une des affiches de cet Andrea Chénier mais c’est une performance physique qu'il n'assurait pas les deux fois où je l'ai vu précédemment.



Globalement, la mise en scène a gagné en fluidité et l'investissement des chanteurs est vraiment extraordinaire.
Ils sont désormais rodés à toutes les arcanes des mouvements assez compliqués entre les pièces et les étages, notamment le couple Harteros-Kaufmann, littéralement magique dans l'interaction du poète révolutionnaire Chénier et de la fille d'aristocrate Maddalena.
Chacun descendra de son piédestal pour finir sur l'échafaud mais quelle leçon de vie et d'espérance et quel pied de nez à la "morta".




Jonas Kaufmann a désormais vraiment retrouvé tous ses moyens vocaux après ses problèmes graves d’il y a un an. La voix s’est clarifiée, élargie, lui permet toutes sortes de nuances et surtout une autorité vocale impressionnante avec un timbre de plus en plus séduisant. Il est sans doute l’un des grands titulaires actuels du rôle qu’il incarne autant vocalement que scéniquement, possédant le physique qu’on imagine (à tort d’ailleurs) pour le poète révolutionnaire, trahi dans ses idéaux.
Dès son “Colpito qui m'avete... Un dì all'azzurro spazio” son chant d’improvisation explose dans le salon bien pensant de Madame de Coigny comme celui d’un poète révolté et mal élevé, qui hurle leurs quatre vérités avec insolence à tous ces privilégiés de la société. Les duos avec Maddalena sont en osmose parfaite, taillés au millimètres, avec les gestes d’amour et de passions qui renforcent encore l’incroyable crédibilité de leur couple sur scène. Et son “Come un bel dì di maggio” est une si belle élégie à la vie et à l’amour qu’elle vous arrache des larmes d’émotion. “l'ulti'ma mia strofa sia finita, m'annuncierà il carnefice la fine della vita.”...



Mais s’il est vrai que c'est un rôle qui correspond bien à Jonas Kaufmann (et il n'y a pas tant d'Andrea Chénier aujourd'hui qui ont le physique de l'emploi en plus de la voix et du jeu d'acteur adéquat), Anja Harteros est au moins aussi adéquate au rôle de Maddalena qui lui convient parfaitement.
De l'espièglerie de la jeune fille qui "drague" le beau Chénier en s'en moquant, jeune aristocrate insouciante à la femme amoureuse qui a vécu d'horribles moments dramatiques et veut sauver son amant avant de décider de mourir avec lui, Harteros nous offre toutes les facettes du personnage avec un talent stupéfiant. Sa “Mamma morta” est incomparable et ce que j’en ai entendu d’Anna Netrebko (qui chantait le rôle pour la première fois la veille à la Scala), parait bien lourd et privé de l’émotion sublime qu’Harteros donne à son chant désespéré.


La fin de l’aria, presque murmuré, est si bouleversant qu’un silence précède toujours le tonnerre d’applaudissements que le public aura, à chaque fois, réservé à cette interprète inoubliable
Io son l'amore, io son l'amor, l'amor
E l'angelo si accosta, bacia,
e vi bacia la morte!
Corpo di moribonda è il corpo mio.
Prendilo dunque.
Io son già morta cosa!

Et puis, au risque de se répéter, y-a-t'il aujourd'hui un couple mieux assorti que le couple Kaufmann-Harteros ?
Le public munichois qui les connait ensemble depuis des années maintenant, les chérit ensemble.



Mais un Andrea Chénier réussi, nécessite un très bon Carlo Gérard. Ce domestique qui sonne le signal de la révolte et deviendra l’un des chefs de la révolution, qui tentera pourtant de sauver Andrea Chénier pour éviter qu’il ne soit condamné à mort au Tribunal révolutionnaire, est un des trois rôles piliers de l’opéra de Giordano. Il intervient dès les premières minutes de l’opéra avant même l’apparition de Maddelena et l’arrivée de Chénier et ne quitte guère la scène jusqu’à l’issue fatale.
Je crois que ce Carlo était une prise de rôle pour Georges Petean qui avait de surcroit, la difficile tâche de succéder à Luca Salsi, titulaire du rôle lors des précédentes séries mais "pris" à ses dates pour le même rôle à... la Scala avec Yusif Eyvazov dans le rôle-titre.



Il a parfaitement tenu son rôle confirmant ce que j’ai déjà écris à son propos : c’est une valeur sûre, au beau timbre très nuancé, qui sait donner un sens à son personnage et qui a été à juste titre, très ovationné à Munich. Il n’a sans doute pas le legato divin de Salsi, le meilleur Carlo Gérard actuel (et sans doute l’un des meilleurs barytons y compris dans les rôles verdiens) mais il possède de solides qualités vocales, plutôt globalement séduisantes et s’est très facilement coulé dans le jeu des autres protagonistes. Un superbe “Nemico della patria?” très émouvant et très applaudi. Souvent sous-estimé ou insuffisamment connu en tous cas, Georges Petean poursuit pourtant sa carrière sur nombre de scènes internationales en suscitant régulièrement des critiques favorables et en rencontrant un succès public important. C’est un baryton à suivre absolument.


Les rôles secondaires sont comme toujours à Munich, de grande tenue, les choeurs impeccables et l’orchestre exceptionnel.

De ce point de vue sans atteindre la subtilité de son prédécesseur sur cet opéra, Marco Armiliato nous propose de fort belles couleurs, un grand respect des chanteurs et un ensemble très satisfaisant en osmose avec la réussite de la soirée exceptionnelle que nous avons vécu.

Sidérant de justesse et mené tambour battant d’un bout à l’autre ,voilà une soirée qui a laissé le public complètement stone à la fin, vingt minutes de standing ovation et beaucoup de mal à quitter le théâtre.










La video de la retransmission de mars 2017




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