La Bohème - Giacomo Puccini - ONP Bastille- 1er décembre 2017


La Bohème

Giacomo Puccini


1896


Livret de Giacosa et Illica, d’après le roman d’Henri Murger, Scènes de la vie de bohème, et son adaptation théâtrale La Vie de bohème.

Direction musicale : Gustavo Dudamel/Manuel López-Gómez
Mise en scène : Claus Guth

Mimì : Sonya Yoncheva/Nicole Car
Rodolfo : Atalla Ayan/Benjamin Bernheim
Musetta : Aida Garifullina
Marcello : Artur Ruciński
Schaunard : Alessio Arduini/Andrei Jilihovschi
Colline : Roberto Tagliavini
Alcindoro : Marc Labonnette
Parpignol : Antonel Boldan

Opéra de Paris Bastille -  Première du 1er décembre 2017




Je ne comptais pas faire de critiques suite à l’avalanche d’avis tranchés qui ont suivi cette Première et qui allaient tous dans le même sens : mise en scène ridicule, trahison de l’oeuvre, coupures et modifications inacceptables...
J’attendais que l’orage passe, tant il est difficile d’être à contre-courant face à une telle déferlante et, pourquoi pas, d’avoir vu la deuxième distribution pour donner un avis plus circonstancié.
J’y reviendrai de toutes façons à la suite de la séance du 21 décembre parce que j'attends beaucoup de la prestation du deuxième ténor, Benjamin Bernheim.

En attendant, quelques mots sur cette Première dont  je suis sortie avec un avis assez symétrique de l'avis dominant : je n’ai pas beaucoup aimé le plateau vocal, mais j’ai aimé la mise en scène. J’ai par ailleurs, admiré le talent de Gustavo Dudamel face à des chanteurs qui semblaient encore en rodage tous ensemble, ne chantaient pas toujours à l'unisson, ni en mesure et nous éloignaient beaucoup du dernier souvenir excellent que j’avais du plateau vocal d’une Bohème à Paris, celui de Ludovic Tézier, Piotr Beczala. Même Angela Gheorghiu, malgré ses insuffisances d’aujourd’hui, garde un grand talent et une grande appétence pour ce rôle. Et à plusieurs reprises je me suis mise à penser à ces trois talents sous la baguette de Dudamel qui sait tellement bien colorer Puccini. Dans cette mise en scène.
Loin de ces splendeurs musicales, nous avions des chanteurs en plus grande difficulté dans l'immensité de la salle, à commencer par le ténor Atalla Ayan en Rodolfo, voix sans grande ampleur, projection insuffisante, jeu sommaire et surtout, tendance à ne guère jouer l'interaction avec ses camarades. 

A ses côtés et dans un rôle à peine moins important, le baryton Artur Ruciński chante et joue beaucoup mieux Marcelo, mais son beau timbre ne ressort pas suffisamment du grand vaisseau de la Bastille et on sent sa tension dans les duos avec un ténor qui est assez fantaisiste avec la mesure.

Le Schaunard d’Alessio Arduini et le Colline de Roberto Tagliavini sont assez pâles aussi et souvent insuffisants vocalement comme scéniquement.

Reste la Musetta de Aida Garifulina, qui m’a donné d’abord l’impression d’un chant très débraillé au timbre criard avant de nous offrir une prestation touchante et mieux maitrisé à l’acte final. Excellent actrice par ailleurs, c’est sans doute le personnage le mieux campé.

Car Sonya Yoncheva, mon idole dans la distribution, toujours magique et aérienne dans ses déplacements, n’était pas en forme et sa voix s’en ressentait un peu, surtout à l'acte 1 (aigus fragiles et craqués, ligne de chant manquant de nuances de peur de les rater, tension perceptible). Les actes suivants l'ont retrouvée plus en forme, la voix chauffée plus sûre d'elle, le timbre magnifique et l'incarnation exceptionnelle dont elle fait toujours preuve. 
Elle a, depuis, annulé les deux séances suivantes, confirmant qu’elle est souffrante en ce moment, hélas. Elle devrait être de retour, espérons-le, pour les deux dernières séances de cette distribution.




Et le reste ?
Si j’ai commencé par les insuffisances du plateau vocal, c’est que même la direction Dudamel a semblé en souffrir par absence de cohérence entre la lecture subtile du chef et le travail des chanteurs parfois en contradiction manifeste.
Il est possible qu’ils n’aient pas non plus adhéré à la mise en scène ou qu’elle leur ait paru trop compliquée à maitriser. Il est probable que l'hostilité patente d'une partie du public et surtout son expression publique sonore dès le retour d'entracte, les ait perturbés dans un exercice difficile.

Gustavo Dudamel a toujours été remarquable (et remarqué) dans la direction musicale subtile et colorée qu'il propose pour cette Bohème. Et il n'a pas failli à cette réputation faisant sonner l'orchestre de l'opéra de Paris avec des timbres à la fois différenciés et harmonieux, comme rarement. La tragédie pointe déjà dans les parties un peu légères du début, les plaisanteries et la vie pauvre mais insouciante des artistes, le va et vient du plateau aux instruments est incessant et perceptible comme un dialogue total où personne n'est sous-estimé. Dudamel donne toutes ses couleurs à la partition mais ne couvre jamais les chanteurs, prenant soin de mettre une légère sourdine pour laisser le soliste s'épancher, quitte à reprendre aussitôt tout son volume dès la dernière note du chant achevée, avec un talent qui a été à juste titre ovationné. Revenez quand vous voulez, maestro, c'est un plaisir.

Mais venons-en donc à cette étonnante idée de Claus Guth : partir des souvenirs de Rodolfo, Marcello, Colline et Schaunard, devenus astronautes dans une station spatiale en perdition qui a perdu tout contact avec la terre au large de la planète Solaris. La référence au roman de SF de Lem est explicite du fait des surtitres muraux qui sont la projection d’un récit en cours d’écriture sur un portable. Il reste peu de temps à vivre à ces hommes et le souvenir de leur jeunesse, de son insouciance, de ses amours (tragiques) va revenir à la surface, du fait de l’apparition du fantôme de Mimi, celle qui n’a pas survécu à l’épisode rappelé.
Robe rouge tranchant sur le blanc et gris de la station spatiale où l’histoire débute, Mimi se promène à la manière d’une toute jeune fille, presque petite fille, qu’elle est restée puisque la mort l’a saisie il y a des années. Dans le roman Solaris, l’influence de la planète proche, créait ainsi les retours des êtres chers morts des années auparavant.
Avec le fantôme de Mimi, ressurgissent alors tous les souvenirs qui forment l’histoire de la Bohême racontée par Puccini.



Les plaisanteries d’étudiants fauchés d’abord (avec le propriétaire que les astronautes retrouvant une forme d’humour noir et grinçant sans doute un peu oubliée avec l’âge, font “jouer” à un de leurs camarades déjà mort) puis la rencontre de Rodolfo et de Mimi (qui a perdu ses clefs et ne les retrouve pas pour faire durer sa présence), moment magique dont on perçoit sans problème le surcroit d’émotions créé par la distance, le souvenir et la certitude de mourir bientôt.
Le café Momus poursuit dans la veine des souvenirs nés de la situation désespérée des astronautes. Et pour le coup tous les symboles attendus y sont : de la petite fille au ballon rouge, aux pains d’épices et aux baudruches géantes de la fête, des garçons de café stylés de Paris aux tables de bistro. Derrière chacune de ces scènes connues, on devine la profondeur d’une nostalgie d’une époque définivement révolue qui, loin, de s’éloigner de la musique, la transcende plutot en lui conférant un caractère plus opératoire.



Après l’entracte, la scène se déplace sur la planète Solaris elle même, sans doute pour respecter la fameuse scène du froid et de la neige où Mimi et Rodolfo font savoir qu’ils s’aiment vraiment mais que c’est foutu. Mimi est déjà mortellement atteinte. J’ai été moins convaincue par ce choix, sans doute parce qu’il contraint Guth à habiller ses héros d’une tenue de cosmonaute, inutile tant qu’ils étaient dans la station, et que ses habitudes de “doubler” tous les personnages, rend la scène plus confuse et moins percutante que pour les actes premiers. Ce, d’autant plus, que tout cela est assez mal joué....
Le dernier acte est bien meilleur avec l’artifice de la “scène” et de son rideau argenté, qui mêle habilement tous les souvenirs comme une sorte de melting pot de l’opéra dans l’opéra : la fête chez Momus avec Monsieur Loyal, le ballon rouge qui réapparait, l’espérance du mariage avec Mimi en robe blanche, l’espérance du bonheur avec les héros chantant leur partition autour de Mimi agonisante comme pour un show, et enfin, le final (que Rodolfo par un “Mimi” raté, gâche un peu) quand le fantôme de Mimi disparait à nouveau, symbolisant tout autant sa propre mort à l’époque que celle, imminente des autres aujourd’hui.




Voilà. Ce n’était, à mes yeux, ni compliqué, ni prétentieux, ni vide. Je comprends que l’on n’ait pas apprécié et une bonne partie du public l'a manifesté, mais, en ce qui me concerne, j’ai trouvé cela terriblement émouvant et, interprété par des chanteurs plus impliqués, je pense qu’on peut 
redécouvrir des profondeurs peu explorées dans cet opéra souvent donné de manière un peu mièvre.

Le petit plus du blog :

DVD de Salzbourg - 
Je rappelerai pour mémoire la mise en scène de Damiano Michieletto à Salzbourg avec Netrebko et Beczala qui m’avait émue jusqu’aux larmes (malgré les sifflets du public) à cause de sa brûlante actualité dans l'univers des SDF et du fantastique talent des susnommés.







Henri Murger, Scènes de la vie de bohème 



Solaris  de Stanislas Lem, roman de SF   



Solaris , film de Tarkovsky - 1972 -





   

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