Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017


Salomé
Opéra en un acte
de Richard Strauss -1905-

Livret : Hedwig Lachmann, d’après la pièce d’Oscar Wilde, « Salomé »
(voir aussi « Herodias » dans les « trois contes » de Gustave Flaubert.)

Direction musicale : Simone Young
Mise en scène : Boleslaw Barlog
Décor, costumes :  Jürgen Rose

Avec :
Herode : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Herodias : Iris Vermillion
Salome :  Gun-Brit  Barkmin
Jonachaan : Željko Lučić
Narraboth : Carlos Osuna




L’histoire de Salomé est aussi célèbre que cruelle.
La très jeune et très belle Salomé, belle-fille du roi Hérode, s’est prise de passion pour le prophète Jonachaan, emprisonné dans une citerne pour avoir diffamé  Hérode et annoncé la venue du Christ. La voix du prophète emprisonné, qui poursuit sa dénonciation des crimes d’Herode et de sa femme me Herodiate, fascine la jeune fille qui parvient à convaincre le jeune garde Narraboth, amoureux d’elle, de libérer Jonachaan. Mais il refuse ses avances avec véhémence, et leurs échanges violents provoquent l’effroi de  Narraboth, qui se tue. Salomé accepte alors de danser la fameuse danse des 7 voiles, en se dévoilant peu à peu jusqu’à la nudité, pour le plaisir du concupiscent roi Herode ; en échange il s’engage à lui donner ce qu’elle demandera. Quand elle exige qu’on lui apporte la tête du prophète qui a résisté à ses charmes, le roi s’exécute avant que l’horreur de la scène ne le conduise à faire exécuter à son tour Salomé.



Cet opéra, court, presque bref, qui se voit sans entracte et sans temps morts, dans le décor unique de la terrasse du palais, le soir puis la nuit du même jour, est d’abord un coup de poing musical : l’orchestration de Richard Strauss est d’une richesse époustouflante, tant pour l’orchestre qui entremêle les thèmes et fait jouer toutes les couleurs des instruments avec brio, que pour les voix avec quelques fameux ensembles où chacun chante une partition différente dans un semblant de chaos parfaitement ordonné qui porte aux nues l’excellence de la forme « opéra ».

Les situations sont fortes et tragiques : profondeur des sentiments, violence des relations, poids du passé, prophéties en tous genres, rôle des religions, symbolisme de l’Orient, sensualité des personnages, névrose de Salomé, la tragédie se déroule dans une cascade de situations toutes plus impressionnantes musicalement et scéniquement, les unes que les autres.

L’opéra a sa part de scandale - Salomé nue à l’issue de sa danse érotique (même si la plupart des interprètes ont gardé un collant pudique, certaines ont osé…), la tête du prophète exhibée sur un plateau - mais aussi sa part d’exploits : le rôle de Salomé est très exigeant puisqu’il faut la voix d’une vraie soprano capable de descendre de temps en temps dans la tessiture de la contralto. Les aigus sont très sollicités en force mais il faut garder en même temps une voix jeune, celle d’une toute jeune adolescente.
Il faut enfin, si possible, savoir chanter et… danser (parfois une danseuse double la chanteuse).




La représentation donnée à Vienne hier soir et retransmise en direct réunissait énormément d’atouts pour servir au mieux cette œuvre magistralement orchestrée.

La mise en scène de Boleslaw Barlog  date de 1972 mais finalement, sa simplicité (et les évolutions intervenues depuis) lui permet de rester d’actualité. Car ce sont surtout les superbes décors et costumes de Jurgen Rose que l’on retient de cette nuit tragique et émerveillée.  A dominante bleutée puis bleu soutenue, chamoisée et enfin rouge sang, l’évolution de la lumière qui baigne la terrasse, ses gradins de côté, ses belles décorations empreintes dans la muraille, la mystérieuse citerne qui emprisonne le prophète, et les arbres, le ciel, la lune par-dessus le mur, tout cela contribue à accrocher l’œil et à valoriser la représentation.

J’avais visité une très belle exposition des œuvres de Jurgen Rose pour l’opéra de Bavière à Munich il y a deux ans et je dois dire que rarement un décorateur-costumier, ne m’aura autant séduite et convaincue quant à son rôle pour transcender une œuvre de théâtre et de musique.

La direction musicale de Simone Young et l’orchestre de l’opéra de Vienne donnent tout leur talent au service de cette exceptionnelle musique, accents, couleurs, reliefs et contrastes, tout y est. le chef canadien Yannick Nezet-Séguin initialement prévu, avait déclaré forfait récemment, le challenge de la reprise n’était pas évident pour la chef qui s’en est sortie par une leçon magistrale de musique.

Le plateau vocal est très homogène et très brillant, tant vocalement que scéniquement et cela complète la beauté de cette représentation.


 Gun-Brit  Barkmin (Salomé), que j’avais déjà remarquée en « Marie » sur la scène de l’ONP lors de la reprise de Wozzeck l’an dernier, campe une Salomé jeune et insolente, à qui il manque sans doute un peu d’audace séductrice, mais qui vient à bout de la partition vaillamment, n’omettant aucune difficulté et démontrant une belle gestion du souffle et de la technique dans ce rôle difficile et exigeant.

Željko Lučić en Jonachaan, démontre qu’il est bien plus à l’aise et bien meilleur dans Strauss ou dans le vérisme de la même époque (il était notamment un excellent Gérard dans Andréa Chenier à Londres avec Kaufmann), que dans Rigoletto ou Germont père (Bastille ces dernières années). Même s’il a une tendance évidente à incarner tous ses rôles un peu de la même manière, là le jeu est convaincant et même intense et la rencontre entre les deux artistes, chargée d’émotions.




Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est un excellent Mime (et parfois un Loge), mais aussi un Hauptmann (Wozzeck) et enfin un Hérodes reconnu et possédant le rôle magnifiquement. C’est peut-être d’ailleurs l’artiste le plus saillant de la soirée, voix menaçante et lubrique à souhait, autorité malsaine et criminel en puissance, il a tout pour plaire. J’ai été subjuguée par son investissement phénoménal.




Iris Vermillion a également déjà chanté Herodias mais c’est la première fois que j’entendais cette mezzo. Elle habille parfaitement son rôle également , le contraste de son timbre hargneux et sombre avec celui, très juvénile, de Salomé est absolument parfait.



Joli Narraboth de Carlos Osuna, un jeune membre de la troupe de l’opéra de Vienne qu’on remarque aussitôt, qui occupe largement sa place et retient l’attention dans tout le début de l’opéra.

Comme toujours à Vienne, la troupe constitue les rôles secondaires et l’osmose au sein de l’équipe, la qualité de tous les chanteurs même les rôles les plus courts est l’une des grandes qualités des théâtres à troupe.





Les petits plus du blog

Le trailer de l’opéra de Vienne





Salomé, version intégrale donnée au Royal Opera House en 1997, mise en scène de Luc Bondy, Bryn Terfel était Jonachaan.


La danse des sept voiles par Karita Mattila qui ne faisait pas les choses à moitié.







Illustration d'Aubrey Beardsley pour Salomé d'Oscar Wilde: Iokanaan et Salomé


L’exposition Jurgen Rose à Munich sur le blog de mon ami Luc Roger

http://munichandco.blogspot.fr/2015/05/grande-retrospective-jurgen-rose-munich.html





Costumes de Jurgen Rose pour le plus beau Don Carlo, celui de Munich




Extraits de la pièce d’Oscar Wilde, sur la terrasse, discussion sur la religion.

LE NUBIEN. Les dieux de mon pays aiment beaucoup le sang. Deux
fois par an nous leur sacrifions des jeunes hommes et des vierges:
cinquante jeunes hommes et cent vierges. Mais il semble que nous ne
leur donnons jamais assez, car ils sont très durs envers nous.

LE CAPPADOCIEN. Dans mon pays il n'y a pas de dieux à présent, les
Romains les ont chassés. Il y en a qui disent qu'ils se sont
refugiés dans les montagnes, mais je ne le crois pas. Moi, j'ai
passé trois nuits sur les montagnes les cherchant partout. Je ne
les ai pas trouvés. Enfin, je les ai appelés par leurs noms et ils
n'ont pas paru. Je pense qu'ils sont morts.

PREMIER SOLDAT. Les Juifs adorent un Dieu qu'on ne peut pas voir.

LE CAPPADOCIEN. Je ne peux pas comprendre cela.

PREMIER SOLDAT. Enfin, ils ne croient qu'aux choses qu'on ne peut
pas voir.

LE CAPPADOCIEN. Cela me semble absolument ridicule.

LA VOIX D'IOKANAAN. Après moi viendra un autre encore plus puissant
que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses
sandales. Quand il viendra la terre déserte se réjouira. Elle
fleurira comme le lis. Les yeux des aveugles verront le jour, et
les oreilles des sourds seront ouvertes... Le nouveau-né mettra
sa main sur le nid des dragons, et menera les lions par leurs
crinières.

SECOND SOLDAT. Faites-le taire. Il dit toujours des choses 
absurdes.

PREMIER SOLDAT. Mais non; c'est un saint homme. Il est très doux
 aussi. Chaque jour je lui donne à manger. Il me remercie toujours.

LE CAPPADOCIEN. Qui est-ce?

PREMIER SOLDAT. C'est un prophète.

LE CAPPADOCIEN. Quel est son nom?

PREMIER SOLDAT. Iokanaan.

LE CAPPADOCIEN. D'où vient-il?

PREMIER SOLDAT. Du désert, où il se nourrissait de sauterelles et 
de miel sauvage. Il était vêtu de poil de chameau, et autour de ses
reins il portait une ceinture de cuir. Son aspect était très
farouche. Une grande foule le suivait. Il avait même de disciples.

LE CAPPADOCIEN. De quoi parle-t-il?

PREMIER SOLDAT. Nous ne savons jamais. Quelquefois il dit des
choses épouvantables, mais il est impossible de le comprendre.

LE CAPPADOCIEN. Peut-on le voir?


PREMIER SOLDAT. Non. Le tétrarque ne le permet pas.


Texte intégral par ce lien, Oscar Wilde avait écrit sa pièce en français.





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