L’opéra, Jonas Kaufmann , CD d'airs d'opéra français

L’opéra, Jonas Kaufmann 

CD d’airs de l’opéra Français
Sony Classical, septembre 2017

Ah le nouveau CD de Kaufmann, que d’encre fait-il couler aussitôt sorti (et même avant d’ailleurs) !
Le ténor le plus célèbre au monde a-t-il eu raison de faire un tel choix d’airs de l’opéra français ? Sa voix a-t-elle trop changé pour se livrer encore à la jeunesse de Roméo ? Est-il toujours aussi séduisant ou son timbre s’est-il altéré notamment dans certains répertoires ? Bref que faut-il en penser ?

Du bien, beaucoup de bien, et plus on l’écoute plus on l’aime, découvrant sans cesse de nouveaux aspects d’un enregistrement très riche qui caracole déjà en numéro un des classements internationaux des ventes de CD classiques.

L’écoute du CD réserve beaucoup de surprises, car rien n’y est classique ou traditionnel et j’ai été d’abord plusieurs fois décontenancée par les interprétations proposées par Jonas Kaufmann pour tous les rôles où nous n’avons jamais eu l’occasion de l’entendre, en tous cas ces dernières années.

A l’issue de plusieurs écoutes pour m’habituer au parti pris du ténor bavarois, je suis époustouflée par la majeure partie de ses airs et plus partagée par certains d’entre eux.


Revue de détails d’un CD que je vous recommande chaudement.
Il faut incontestablement partir des propres déclarations de Jonas Kaufmann où il explique son choix par son amour de l’opéra français, un type d’opéra qui ne lui était pas destiné a priori, et avec lequel, il a eu parmi ses plus grands succès. Ce qui est parfaitement exact au moins en ce qui concerne Werther et Carmen.

Il sert magnifiquement la langue française et l’amour de la la poésie qui s’en dégage. Et c’est la première chose que je voudrais souligner ici. Rares sont les chanteurs natifs d’ailleurs qui sont capables de donner une telle perfection à la prononciation et l’accentuation du français tout en offrant son immense talent de conteur à ces « petites histoires » que sont les airs qu’il choisit.
La partie infiniment séduisante de l’entreprise tient dans cette alchimie presque parfaite entre son instrument et sa fabuleuse technique et  les échos délicats de l’orchestre de Bavière, parfaitement adaptés à son interprétation, à ses inflexions, à ses piano comme à ses forte, à ses accélérations et à ses « silences ».

Quitte à être partiellement à contre-courant, j’ai été totalement conquise par son Roméo, sans la moindre hésitation. C’est un Roméo-Kaufmann, c’est sûr, ce n’est pas la voix juvénile du tout jeune Alagna qui reste ma référence. Mais comme il était évident que Kaufmann, qui n’a jamais eu un timbre juvénile, ne risquait pas de l’avoir miraculeusement acquis cette dernière année, j’étais curieuse précisément d’entendre « lève toi soleil» chanté par une voix mâle et sombre. Et son timbre ne l’est pas plus qu’il y a une dizaine d’années me semble-t-il, époque où il a raté l’occasion de chanter le rôle.
Et c’est magistral. Tout comme le sont les deux airs qui suivent, son « Werther » toujours aussi époustouflant et émouvant dans le désespoir suicidaire du poète romantique, et sa « fleur » qui a acquis des lettres de noblesse définitives et inégalables pour moi, confirmées par cet enregistrement qui ne s’embarrasse pas d’introduction musicale et fonce directement dans le coeur du sujet. Du sujet en colère.


Entre les deux, il y a cet extrait de « Mignon » qu’il voulait reprendre quinze ans après avoir interprété le rôle à Toulouse pour ses débuts (assez ratés) en France. Là, par contre, je n’aime pas. Un peu comme si Kaufmann tentait de retrouver une voix avec un timbre presque blanc, une voix qu’il n’a jamais eue, qui convient peut-être à ce genre de rôle pour certains goûts mais qui ne lui va pas. Alors bien sûr il reste une technique au service de l’opéra mais cela ne suffit pas à mon avis.


Ensuite on aborde le très controversé duo des Pêcheurs de perle, avec Ludovic Tézier. Là, pour moi, moins de surprises, je l’avais entendu avec Dmitri Hvorotovski et avait apprécié déjà à l’époque (2008) son interprétation de cet air dans un duo de rêve où les inflexions et les couleurs des deux voix, se marient étroitement comme celles d’un couple d’amis qui chantent « mais rien ne nous sépare, jurons de rester amis ». Mais outre le fait que l’osmose avec Ludovic Tézier est exceptionnelle, depuis leurs débuts communs dans Werther (et leur amitié), nos deux artistes proposent un très long passage de l’opéra de Bizet, qui commence bien avant ce qu’il est convenu d’appeler le duo des Pêcheurs de Perle, donnant un aperçu de leur double crédibilité dans ces échanges passionnés durant plus de 8 minutes, de quoi camper une vraie scène et lui donner tout son sens.
J’ai trouvé ce morceau absolument divin, loin des interprétations traditionnelles très lyriques de Nadir, mais parfaitement convainquant dans le style très personnel des deux artistes.
A Moscou Kaufmann et Hvorotovski enchainaient avec deux duos de Don Carlo, dans le même style d’interprétation.


Mariant le meilleur et le discutable, la découverte du CD a tendance à faire alterner le plaisir intense, avec une légère déception : le Roi d’Ys fait partie de la deuxième catégorie, comme Mignon. La voix est allégée comme il faut, mais du coup elle perd une partie de ses couleurs et je ne suis pas convaincue du résultat.
Ni par son Hoffmann, que je trouve mal équilibré avec des montées à l’aigu qui ne sont pas très élégantes, contrairement à l’air précédent d’ailleurs où tout est pris en douceur et en beauté mais en manquant de « corps ».

Curieuse sensation d’ailleurs que le contraste entre ces deux airs dans les choix de « voix » que fait Kaufmann. Car le ténor, mais cela je le savais déjà, a pas mal de cordes à son arc et semble explorer de nouveaux effets. Et je préfère dire qu’ils ne me convainquent pas tous.

A partir de Meyerbeer et jusqu’à la fin, tout va très bien. On est même dans un état de grâce et d’extase parfois incontrôlée.
« Pays merveilleux » commence avec une douceur de la voix parfaitement maitrisée cette fois, timbre superbe, enflement délicieux de la voix, nuances pianis puis forte « à la Kaufmann », une des plus belles interprétations entendues ces dernières années. Et puis il y a ces changements de ton selon les phrases qui sont si bien rendus et que Kaufmann est l’un des rares à être capable de donner, tout comme ces notes longuement tenues « sois donc à moi, àààààààààààààààà moi » (ouf, que de frissons au passage).

Kaufmann à Garnier
Il donne ensuite un Des Grieux très viril à la Puccini plus qu’à la « Massenet » même s’il allège avec classe son émission à plusieurs reprises « le ciel l’a fait si léger qu’on a toujours peur qu’il s’envole... ». Jolie et délicieuse voix de Sonya Yoncheva en écho « Tiens Manon, en marchant je viens de faire un rêve »  « Hélas qui ne fait pas de rêves ?"
Kaufmann a déjà chanté le Manon de Massenet (notamment avec Natalie Dessay à Chicago) et repris le « toi, vous » encore plus récemment à la Waldbühne à Berlin en duo avec Anna Netrebko. La maitrise est parfaite et ni le timbre ni le style n’ont fondamentalement changé. La classe toujours avec ce « Oh Manon » à vous faire fondre.

Sonya Yoncheva et Jonas Kaufmann pendant l'enregistrement à Munich

Aussi étonnant que cela puisse paraitre, si Sonya Yoncheva est vocalement fascinante comme toujours, sa diction en français est un tout petit peu moins bonne que celle du ténor, alors qu’elle parle parfaitement notre langue. Un problème d’accentuations des mots dans la phrase qui est particulièrement difficile à maitriser dans le chant français. Mais quelle émotion dans sa voix, dans leurs voix entremêlées...

J’avais déjà entendu l’extrait du « Cid » « O juge, o souverain, o père » que chante Kaufmann, lors du récital qu’il avait donné en juillet 2016 à Munich. J’avais été totalement séduite et cet enregistrement confirme son adéquation totale à ce rôle à qui il donne une dimension en rapport direct avec le personnage du Cid. J’avoue être capable de me le passer en boucle et de le chantonner ensuite en permanence...

Jolie surprise avec la Juive que je n’imaginais pas Kaufmann chanter un jour. Il a manifestement pris beaucoup de plaisir à analyser le rôle d’Eleazar avant d’en donner une interprétation aussi fine, aussi déchirée, aussi dramatique. Là c’est mon Kaufmann dans toute sa splendeur.

Et son « merci doux crépuscule » de la Damnation de Faust, « son » interprétation désormais célèbre de Berlioz, s’écoute toujours avec grand plaisir.

Après l’exaltation des morceaux qui précèdent, cet extrait (superbe) des « Troyens » forme presque une synthèse du talent actuel de Kaufmann et des rôles qui lui vont bien. L’air est bien pris avec élan et un timbre riche et chaud, héroique et rapide, puis lyrique et lent, qui nous fait vivre les émois du glorieux Enée, toujours dans sa diction parfaite où chaque phrase est ciselée et travaillée, couleurs et nuances infinies, aigus délicats ou flamboyants, tout y est. Juste une toute petite réserve sur un léger laisser aller dans le premier « si je quittais Carthage » avec une instabilité de la voix juste ensuite, un peu surprenant dans la beauté du reste de l’interprétation. Final grandiose.
Silence.


J’ai trouvé l’orchestre de l’opéra de Bavière parfaitement en phase avec les choix artistiques et musicaux de Jonas Kaufmann, servant magnifiquement le ténor, sous la baguette de Bertrand de Billy qui ne m’a pas paru si sous-vitaminé qu’on l’a dit à son propos, et qui, s’il ne donne que peu d’élan, respecte les couleurs et les contrastes du chant français avec bonheur.

Soulignons l’extrême soin apporté à la confection du coffret avec son livret, les paroles de tous les airs en français, en anglais et en allemand, les échanges entre Thomas Voigt et Jonas Kaufmann sur l’opéra français et le texte de Anselm Gerhard « en suspens, visions lyriques du XIXème siècle français ». Superbes photos du ténor dans différents lieux de Garnier et affiches d’époque de divers opéras français.


le CD





Détail
Gounod : Roméo et Juliette “L’amour! L’amour!... Ah! Lève-toi soleil”
Massenet : Werther “Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps”
Thomas : Mignon “Elle ne croyait pas, dans sa candeur naïve”.
Bizet : Carmen “La fleur que tu m‘avais jetée”
Bizet : Les Pêcheurs de perles “C’est tout …au fond de temple saint” (avec Ludovic Tezier)
Lalo : Le Roi d‘Ys “Vainement ma bien-aimée”
Offenbach : Les Contes d‘Hoffmann “O Dieu. De quelle ivresse”
Meyerbeer : L‘ Africaine “Pays merveilleux”
Massenet : Manon “Toi! Vous! Oui c’est moi…N’est-ce plus ma main” (avec Sonya Yoncheva)
Massenet : Manon “Instant charmant, où la crainte…En fermant les yeux”
Massenet : Le Cid “Ah! Tout est bien fini… Ô souverain, ô juge, ô père”
Halévy : La Juive “Va prononcer ma mort….Rachel, quand du Seigneur la grâce tutélaire”
Berlioz : La Damnation de Faust “Merci, doux crépuscule”
Berlioz : Les Troyens “Inutiles regrets, je dois quitter Carthage”



Le trailer du CD



“Pourquoi me réveiller, ô souffle du printemps” 2010


Roméo et Juliette, Jonas Kaufmann et Angela Gheorghiu 2008


Roméo et Juliette, Jonas Kaufmann et Natalie Dessay 2008



“la Fleur que tu m’avais jetée”, Jonas Kaufmann, la Scala 2009


Commentaires

Les plus lus....

Magnifique « Turandot » à Vienne : le triomphe d’un couple, Asmik Grigorian et Jonas Kaufmann et d’un metteur en scène, Claus Guth

Salomé - Richard Strauss - Vienne le 20/09/2017

Pour l'amour du septième art : la musique de film par Jonas Kaufmann.