Coups de coeur de ma saison lyrique 2016-2017

Petit retour sur ma saison 2016-2017


Dans l'ordre d'apparition, mes coups de coeur :



- Alberto Zedda dirigeant Ermione au TCE
- La première Norma de Sonya Yoncheva à Londres
- Le récital de Hvorotovski au Chatelet
- Antonacci dans Santa Suzanna (et l'opéra entendu pour la première fois) à Bastille
- la mise en scène de Pelly pour le Coq d'Or de Rimski-Korsakov
- la résurrection de Jonas Kaufmann chantant "In Fernem Land" dans un moment de grâce absolu à Bastille juste pour mon anniversaire
- le Tamino de Stanislas de Barbeyrac à Bastille
- le Sachs de Bryn Terfel à Londres
- la Violetta de Yoncheva au MET (cinéma)
- le Lucien de Rubempré de Cyril Dubois dans Trompe la mort à Garnier
- la Pucelle d'Orléans de Tchaikovski à la Philharmonie (pour l'ensemble, le chef, l'orchestre, les solistes, l'oeuvre et... la salle )
- le couple Harteros-Kaufmann dans Andrea Chénier au TCE puis à Munich
- le récital Haendel de Yoncheva à la Philharmonie
- les costumes de Pelleas et Mélisande au TCE
- la Gilda de Nadine Sierra dans Rigoletto à Bastille
- le Récital de Liederabend d'Anja Harteros à Garnier
- mon WE à Londres avec Otello et Mitridate.

Le pire : le ténor sans voix de la Reine de Chypre...

Entre les deux : énormément de choses très sympa cette année...

Et quelques impressions notées à l’époque sur ces spectacles


Une saison d'opéra-2016-2017

 

Ermione

Gioacchino Rossini



Théâtre des champs Elysées le 15 novembre
Opéra en deux actes, 1819
Livret d’Andrea Leone Tottola (en Italien)
d’après Andromaque de Racine

En coproduction entre l'opéra de Lyon et le Théâtre des Champs-Élysée, Paris

Direction musicale Alberto Zedda

avec
Ermione Angela Meade
Andromaca Eve-Maud Hubeaux
Pirro Michael Spyres
Oreste Dmitry Korchak
Fenicio Patrick Bolleire
Pilade Enea Scala
Cleone Rocio Perez
Cefisa Josefine Göhmann
Attalo André Gass

Orchestre et Chœurs de l'Opéra de Lyon

Un pan tragique de l'histoire des Atrides, inspiré de l'Andromaque de Racine, Ermione est la fille d'Hélène et de Ménélas. C'est une histoire très sombre de trahison amoureuse et de vengeance.
Une distribution que j'attends avec curiosité notamment dans la distribution de trois ténors déjà tous entendus avec intérêt. (Spyres, Korchak et Scala) et d'Angela Meade (que j'entendrai pour la première fois en live... ) ou de Eve-Maud Hubeaux (qui fut Annina dans le Rosenkavalier de l'an dernier à l'ONP et qui sera Margret dans le futur Wozzeck).)

Nous étions tous sur un petit nuage, moi la première, devant autant d'émotion musicale sublime créée à chaque instant : le sommet pour moi a été l'ensemble à l'unisson juste avant l'entracte, phrase musicale répétée deux fois, voix parfaitement mariées, orchestre en harmonie complète, diminuendo, crescendo, montée vers le ciel, j'ai cru que la salle allait exploser dans le silence qui précède les ovations était révélateur du sentiment commun et totalement partagé de vivre un moment unique.
Je remercierai d'abord ce diable de Zedda, véritable génie de Rossini, qui dirige ses instruments presque un par un et, dès l'ouverture, nous donne un Rossini jouissif et enthousiasmant. Après, on n'en perd pas une note, on perd souvent l'intrigue et les paroles (le livret n'est pas une grande œuvre littéraire) mais ce n'est pas grave, le reste (et quel reste), l'essentiel y est.
Comme ils m'ont tous époustouflée je n'ai pas tellement envie de détailler.
Je retiens l'admirable évolution d'un Korchack que j'ai trouvé littéralement méconnaissable après des prestations douteuses dans Bellini et dans Mozart, un Scala au timbre original et très "prenant", les deux ténors nous ont donné un duo mémorable à inscrire dans les grandes performances extraordinaires, une Meade qui habite son personnage et nous conduit dans tous ses états d'âme avec un talent à se damner, une Hubeaux plus verdienne que rossinienne mais à ce stade, pour être honnête, on s'en fiche, un Spyres éblouissant à la voix superbe et à l'ambitus fascinant, un orchestre aux cordes qui vous caressent l'oreille laissant les cuivres vous la "heurter", bref, comme les autres, j'étais de A à Z sous le charme absolu, très triste que ce soit déjà fini....

RIP : l’inoubliable maestro Alberto Zedda nous a quittés peu après cette mémorable séance. Le festival de Pesaro lui a rendu un vibrant hommage cet été.







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 Norma

Vincente Bellini

Mise en scène : Àlex Ollé / Valentina Carrasco
Décors : Alfons Flores
Costumes : Lluc Castells
Lumières : Marco Filibeck

Direction musicale : Antonio Pappano

avec
NORMA : Sonya Yoncheva
POLLIONE : Joseph Calleja
ADALGISA : Sonia Ganassi
OROVESO : Brindley Sherratt
FLAVIO : David Junghoon Kim
CLOTILDE : Vlada Borovko
Chœur : Chœur du Royal Opera
Orchestre : Orchestre du ROH

Générale du 9 septembre 2016
Pour ses débuts dans l'un des rôles les plus difficiles du répertoire, Sonya Yoncheva fait bien plus que convaincre de son adéquation au rôle. Elle a pris très au sérieux l'interprétation complexe de cette druidesse Gauloise qui a secrètement trahi son serment des années auparavant en ayant une liaison secrète avec le centurion Romain Pollione. Norma apprend par sa jeune amie Adalgisa la liaison de cette dernière avec son amant sur fond de révolte fomentée par le druide Oroveso contre l'occupant romain. Une tragédie en deux actes, ramassée, oppressante, qui ménage de superbes solos (et notamment le très célèbre Casta Diva) mais aussi des duos fantastiques (ténor, soprano- soprano, mezzo-soprano-basse), des ensembles et une partition d'orchestre parmi les plus belles de ce répertoire. Tous les rôles sont vocalement très exigeants puisqu'il faut tout à la fois déployer une souplesse de voix, être capables de beaucoup de modulations, de vocalises, de trilles mais aussi brusquement, au milieu de la phrase d'aigu ou de graves projetés avec force, colère, détermination.

Chanteurs de la facilité, acteurs médiocres s'abstenir, c'est impossible de faire de l'à peu près dans Norma et je dois dire que c'est dans le rôle de Polione (ténor) que j'ai vu les plus grands ratés ces derniers temps tant le rôle est casse-gueule.

Mais c'est Norma le vrai "challenge". Et les ainées sont redoutables : la Callas et Monserrat Caballé en ont fait la référence absolue de leur talent...
J'avais entendu une très grande Sondra Radvanovsky il y a un peu plus d'un an à Munich dans la superbe mise en scène de Jurgen Rose.
J'ai entendu ce midi à Londres, une très grande Sonya Yoncheva qui n'a pas encore l'assurance de ses ainées mais qui marche assez nettement dans les plus grandes traces. La voix est belle et pure malgré la difficulté et les torsions que la jeune soprano lui impose : pas une note qui ne soit à sa place, dans les descentes vertigineuses, les aigus "forte", les montées crescendo, les vocalises acrobatiques, tout y est. La colère aussi quand il le faut. Une Norma jeune pour le rôle (plus jeune que Adalgisa mais bon...), belle, superbe même, qui entre dans son personnage malgré une mise en scène très statique et avec quelques idées absconses dans les moments les plus difficiles : quand Norma veut tuer ses enfants et que finalement elle ne s'y résigne pas par exemple, les détails de mise en scène prête à sourire, la situation pas du tout.
Ceci dit, malgré quelques effets douteux, la mise en scène sait ménager la tragédie notamment au travers d'un dispositif scénique et de décors très oppressants qui symbolise le noir destin des personnages et qui se moule bien dans la montée tragique imprimée par la musique de Bellini (dirigée par l'un des meilleurs chef d'opéra du moment, Antonio Pappano). Le final est grandiose.
A côté d'une Norma aérienne et tragique, le Pollione de Joseph Calleja ne m'a pas paru du même niveau tout comme les deux autres rôles importants que sont Adalgisa (Sonia Ganassi) inégale et l'Oroveso de Sherrat pas toujours top non plus, mais nous étions en répétition générale, il est donc trop tôt pour juger de performances qui peuvent avoir été "retenues" pour se réserver pour la Première (lundi prochain).
J'ajouterai que malgré mes réserves lors de la Générale concernant Calleja, encore en répétition donc, et qui n'a pas donné à fond tous les airs ce qui est normal, j'avais déjà remarqué que c'était sans doute mon meilleur Pollione depuis quelques années, ses qualités vocales et la souplesse de sa voix allant en progressant sans cesse. Il m'avait déjà émue dans la Bohême ici à Londres, et dans Faust à Munich (celui de Boito) et impressionnée par sa capacité à adapter sa voix et son physique à des rôles qu'on ne pense pas de prime abord, faits pour lui.
Par contre comme Paco, j'étais très réservée sur les deux autres rôles, voix fatiguées et timbres pas toujours beau, notamment Sonia Ganassi, hélas (car le duo avec Norma était du coup très déséquilibré.)
Sonya Yoncheva est une Norma aérienne, je maintiens mon qualificatif, mais qui sait donner de la voix, ce n'est pas Sondra Radvanovsky qui la domine des épaules quand à la largeur de la voix (sans perdre pour autant la souplesse, les couleurs et le sens des nuances), mais c'est une Norma bouleversante aussi, et c'est LA qualité de Sonya Yoncheva pour moi (les avis sont sans aucun doute partagés).
Enfin, j'avoue ne pas comprendre les huées quant à la mise en scène qui comporte les faiblesses lors de la scène de l'infanticide que nous avons soulignés, mais qui comporte d'abord et surtout, pour l'essentiel, un pouvoir émotionnel fort en totale symbiose avec la tragédie.

Pappano est un dieu...

Séance du 8 octobre 2016
Je suis encore sous le charme de la dernière représentation, donnée en matinée, de cette Norma dont je garderai un souvenir précieux et intense.

J'avais déjà souligné qu'à part dans l'acte de l'infanticide, qui m'avait paru décalé, le reste était globalement en adéquation avec le livret. Non pas au mot-à-mot puisqu'il s'agit d'une transposition (très discutable), mais par le caractère tragique, oppressant, dramatique, créé par ces décors, cette mise en scène, cette direction d'acteur, ces couleurs, ces lumières.

L'intense émotion que dégage pour moi, par deux fois, le final de ce Norma, à partir du dialogue désespéré entre Norma et Pollione jusqu'aux dernière notes, est due à plusieurs facteurs : la musique et le sens dramatique donné par Bellini à son opéra évidemment, l'excellence des chanteurs et des choeurs bien sûr, la direction vive et inspirée de Pappano à cet instant forcément, mais aussi à la mise en scène et aux décors qui en dénudant d'abord le plateau central pour ne laisser que les deux amants face à face, si près de la mort, si désespérés, puis fait monter les protagonistes, les choeurs, les enfants qu'on arrache ensuite à leurs parents, Oroveso (dont on oublie les limites vocales), les décors bougent (ce sont des centaines de crucifix qui forment comme un forêt menaçante ou qui sont enchâssés les uns dans les autres pour représenter une couronne christique), le feu s'allume, rouge, colonne immense à l'arrière du plateau, le chant monte, c'est là que je ne peux pas m'empêcher de verser des larmes.
Et ça, à l'opéra, ce n'est pas si fréquent.

Je ne retire rien de ce que j'ai dit de la Norma de Sonya Yoncheva vue en Générale. Elle m'a encore totalement séduite (même si un ou deux aigus étaient un peu "jetés", une petite fatigue se sentant sans doute et son Casta Diva était moins lâché qu'au début des représentations). Mais elle reste une des meilleures Norma actuelles, vues récemment. Une Norma jeune, têtue, opiniâtre, fière, conquérante, émouvante. Quelle présence sur scène à seulement 34 ans. Quelle "aura", quelle séduction extrême. Elle ne triche pas avec la partition, c'est une belcantiste qui sait prendre des accents dramatiques avec force (le rôle est vraiment casse gueule), et elle sait faire passer le maximum d'émotions dans une vocalise ce qui est rare. Elle ne fait pas un exercice de style, elle interprète un rôle.

Chapeau et mille merci pour ce travail remarquable. Je la garderai en mémoire longtemps.

Il est sûr qu'il vaut mieux qu'elle ne tente pas ce rôle dans de trop grandes salles, elle s'y casserait une voix très belle, très pure, dont le timbre me donne des frissons à tout coup. Béni soit le ROH et sa merveilleuse acoustique.

Le Pollione de Calleja n'a pas tout à fait le même charisme mais il est néanmoins admirable. Très, très loin des aboiements (faux) de Berti au TCE, Calleja nous propose en effet , un Pollione blessé, hésitant, malheureux, partagé, loin des conquérants romains un peu brut de décoffrage habituels. Et je voudrais y revenir parce que j'ai vu trois fois de suite Calleja ces derniers mois en salle (et quelques autres fois en retransmission) pour souligner que sa voix est beaucoup plus belle en "vrai". Hier il était au mieux de sa forme et nous a donné du très beau, chant, sensible, intelligent, musicalement presque irréprochable, et un jeu, sans doute plus sommaire, mais tout à fait à la hauteur des enjeux.
Il m'avait déjà séduite en Faust dans Mefistofele cet été à Munich, même si j'avais des réserves sur son côté un peu statique, finalement on l'oublie du fait d'une "interprétation" qui fait passer bien des émotions par la voix, ce qu'il fait très bien.
Il avait été aussi un Rodolfo impressionnant l'an dernier dans la Bohême au ROH avec Netrebko. Il ne m'a déçue finalement récemment que dans Pinkerton qui je pense,n'est pas un rôle pour lui. Il est trop "gentil".
En tous cas bravo aussi à lui.(il est sur ma liste des bons ténors, liste qui n'est pas très longue hélas...)

L'Adalgisa de Sonia Ganassi est bien joué et son chant est très expressif, elle vit le personnage mais la voix n'y est pas toujours surtout en première partie. Paradoxalement, à mon sens, c'est dans la deuxième partie, après qu'il a été annoncé qu'elle était souffrante mais finissait le spectacle) que je l'ai trouvée meilleure, timbre plu suave et duos avec Norma, bien plus beaux qu'à la Générale. Mais on aurait pu espérer meilleur couple.

Comme je l'ai dit hier après la représentation, l'Oroveso de Brindley Sherratt donne furieusement envie de crier : il est temps de prendre ta retraite !. Pas d'autre commentaire.

Pappano est toujours un grand chef. L'orchestre du ROH n'est pas toujours au top. Je dirai rapidement sur hier : Pappano passe du bon à l'excellent mais n'est pas toujours totalement convainquant dans ce répertoire (l'excellent dans le final en particulier). L'orchestre m'a paru très ...inégal.
Mais bon, ne chipotons pas, c'est seulement parce que je place Pappano au Panthéon des meilleurs chefs d'opéra.

Le ROH en matinée c'est marrant : plus populaire qu'en soirée, beaucoup de british assez âgés qui mangent leur petite gamelle assis sur les banquettes de la galerie de l'amphi pendant l'entracte, beaucoup de Français qui font l'aller et retour dans la journée







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Santa Suzanna

 de Paul Hindemith

Opéra en un acte

ONP Bastille, séance du décembre 2016


Santa Suzana, mini opéra d’Hindemith raconte une histoire forte admirablement interprétée par Anna-Caterina Antonacci et très bien mise en scène à l’opéra Bastille pour cette deuxième partie de soirée après le Cavaliera Rusticana: la cellule étroite d'une nonne promise à la sanctification qui ne sait pas qu'elle vit au-dessus d'une emmurée vivante, condamnée tel Radamès et Aida, à une mort atroce pour avoir eu des désirs sexuels à l'égard du très beau Christ en croix et donc, de n'avoir pas respecté sa parole de chasteté, d'avoir blasphémé en tombant dans le péché de la chair au lieu de rester, comme l'Eglise Catholique l'exige, la fiancée chaste et pure de Jésus.
Et qui, écoutant le récit de cette histoire, alors que sous les lilas à l'extérieur de sa cellule de chasteté, elle entend les ébats de deux tourtereaux, succombe à son tour, se débarrasse de sa prison de vêtements et de préjugés, et est à son tour emmurée par une foule noire de nonnes noires et de sombres moines et curés. Les costumes sont parfaitement respectés, l'époque aussi, la mise en scène est fantastiquement efficace (l'araignée vivante !) tout en suivant scrupuleusement le livret, musicalement c'est du Hindemith, c'est puissant et cela correspond à la tension que l'on voit sur scène. En 20 minutes c'est remarquable tout simplement. Et cela traite du désir féminin pour une fois.
Alors certes il y a de petites provocations (une femme nue aux poses suggestives) mais c’est dans le ton du récit-choc et la magnifique Antonacci qui se déshabille au fur à mesure de l’opéra, n’est jamais vulgaire dans sa représentation superbe d’une femme qui découvre puis revendique le droit au plaisir. Et quelle voix, comme toujours son immense sensualité fait merveille.

Certains dans la salle ont été "dégoutés" : ils n'avaient pas dû se renseigner avant d'aller voir cet opéra tout simplement.
La mise en scène ne fait rien d'autre que d'en donner une très belle lecture esthétiquement mais n'invente rien qui ne soit pas dans le livret, dans un allemand remarquablement prononcé par tous les artistes dont je ne refais pas l'éloge, elles étaient toutes parfaites.

Quant à ne pas aimer la musique, j'ai aussi des amis amateurs d'opéra pour qui Strauss est le grand maximum (et encore) qui soit supportable. C'est effectivement un non sens si on n'aime ni Berg, ni Schonberg,ni Bartok etc, d'espérer apprécier Hindemith. Mais moi c'est l'inverse, j'apprécie énormément la musique du 20ème.

Par contre, je crois que l'ONP aurait du choisir de mettre en scène plusieurs de ces courts opéras de Hindemith plutôt que de coller un Cavaliera Rusticana sans aucun rapport (ou alors au rapport ironique puisque Cavaliera traite du désir masculin, un peu macho et très égoïste et qui humilie les femmes réduite à devoir se venger par bras masculin interposé...).
Hindemith a également écrit deux autres opéras à la même époque que Sancta Suzanna, que je ne connais pas et que j'aurais découvert avec curiosité. En se livrant à un petit travail de communication (à l'instar de ce qui avait été fait pour Moose und Aaron), sur Hindemith, et son oeuvre, avec une si riche distribution et un metteur en scène aussi inspiré, l'ONP aurait pu en faire une soirée dont on se rappelle avec plaisir, celle de la découverte d'oeuvres assez confidentielles.

Et cela aurait sans doute évité de décevoir le public venu pour le plus classique Cavaliera.










Le Coq d'or


de Rimsky-Korsakov
(Золотой Петушок)

Direction musicale : Alain Altinoglu
Mise en scène & costumes : Laurent Pelly
Décors : Barbara de Limburg
Eclairages : Joël Adam
Chorégraphie : Lionel Hoche
Collaboration costumes : Jean-Jacques Delmotte
Chef des choeurs : Martino Faggiani
Orchestre : Orchestre Symphonique de la Monnaie
Académie des choeurs de la Monnaie s.l.d. Benoît Giaux

Production La Monnaie/De Munt, Coproduction Teatro Real (Madrid) et Opera national de Lorraine (Nancy)

Pavlo Hunka - Tsar Dodone
Alexey Dolgov - Tsarévitch Guidone
Alexander Vassiliev - Voïvode Polkane
Agnes Zwierko - Intendante Amelfa
Alexander Kravets - Astrologue
Venera Gimadieva - Tsarine de Chemakhane
Konstantin Shushakov - Tsarévitch Aphrone
Sheva Tehoval - Coq d'or (Chant)
Sarah Demarthe - Cog d'or (danse)





J'ai trouvé ce spectacle excellent.
En retransmission j'ai trouvé la mise en scène de Pelly d'une beauté plastique rendant tout son mystère au conte. Et puis j'ai été complètement séduite par Venera Gimadieva, une reine comme on n'ose pas en rêver. Très joli Coq et belles prises de vue avec la vision simultanée de l'orchestre et de la scène, éclairages superbes.


Le Coq d'Or est un conte de Pouchkine qui commence ainsi :

Dans le vingt-septième royaume, dans le trentième empire, vivait je ne sais où l’illustre tzar Dadone.
Terrible, dans sa jeunesse, follement téméraire, sans trêve, il avait causé grand dommage à ses voisins. Mais, quand il devint très vieux, il désira la trêve des armes et la vie paisible. Alors ses voisins tentèrent d’inquiéter le vieux tzar et de lui porter grand mal.
Pour protéger ses frontières des incursions ennemies, il entretint une nombreuse armée. Les chefs ne dormaient pas, mais ils n’arrivaient plus à suffire. S’ils veillaient au sud, l’ennemi venait d’orient. S’ils le repoussaient là, survenaient de la mer d’audacieux pillards.
Le tzar Dadone pleurait de rage et perdait le sommeil. Peu lui souriait de vivre en perpétuelle angoisse.
Voici qu’il se décide à demander secours et dépêche un messager vers l’astrologue, sage et eunuque, pour le trouver, le saluer de sa part.
Devant Dodone voici le sage. De son sac il tire un coq d’or.
— Perche-le, dit-il au tzar, sur la flèche d’une haute tour. Il te gardera fidèlement. Si tout reste calme à l’entour, immobile il se tiendra. Mais que, de quelque côté, te menace une guerre ou l’incursion d’une horde, ou quelque malheur sans nom, mon coq d’or aussitôt de relever la crête, de se mettre à chanter et de battre des ailes, en regardant l’horizon d’où vient le danger.
Le tzar remercia l’eunuque, et dans son ravissement il lui promit merveilles et montagnes d’or.
— Pour reconnaître un service tel, lui dit-il, j’accomplirai ta première volonté aussi pleinement que la mienne.




Vladimir Ivanovitch Bielski compose le livret à partir de ce conte, pamphlet anti-tsariste, se tenant assez fidèlement à l'intrigue jusque dans les détails du long poème de Pouchkine.
L'opéra, écrit en 1906, n' a été créé qu'en 1909 à Moscou. Du vivant de Rimsky-Korsakov (mort en 1908), qui avait soutenu la révolution Russe de 1905, il fut en butte à la censure tsariste.

Vous avez le début de l'histoire au travers du poème de Pouchkine ci-dessus (écrit en vers en Russe). Le Coq d'or s'égosillera peu après forçant le roi à sortir de son repos et à partir à la guerre. Ses deux fils ont été tués. En guerroyant vers l'orient, direction indiquée par le Coq, il rencontre la Tsarine de Chemakhane qui le séduit et l'entraine dans une folle danse. Il l'emmène dans son royaume. Le mage réclame alors son dû pour avoir fourni le Coq magique, il veut la tsarine. Le tsar fou furieux abat le mage avec son sceptre mais est immédiatement tué d'un coup de bec vengeur.
Tout le monde disparait dans la tempête qui suit. Puis le mage revient annoncer que seuls lui et la reine sont réels.

Laurent Pelly reste fidèle à l'esprit Russe du conte pour enfants, nous présentant des personnages un peu outrés, tout droit sortis d'un fabuleux découpage ou d'un petit théâtre pour automates et marionnettes. Le Roi a un petit côté Don Quichotte quand il part à la guerre avec sa vieille armure posée sur son pyjama (il n'aspire qu'à dormir, son lit est immense et il ne le quitte guère, il prend même un allure de char d'assaut quand la guerre assombrit toute la scène), la fidèle nounou prend un air de babouchka russe toujours au service de son tsar, les deux tsarévitch (les fils du roi) sont tous deux blonds comme les blés, l'air très dégénéré, un baryton, un ténor, encore petits garçons se chamaillant avant de mourir à la guerre, chacun un énorme bloc de pierre noire posé sur la tête, anonymes comme tous les morts de l'immense champs de bataille, la Reine est mince, souple,belle, orientale, magique, séductrice, le mage est sinistre, cheveux blancs longs, air décharné, le Coq est adorable et redoutable et ressemble à un énorme jouet qui cacherait de bien mauvaises intentions.
La scène est couverte de pierres noires qui salissent le bas des vêtements des protagonistes, évoquant le charbon et surtout le champ de bataille, omniprésent, la guerre qui vient et qui fera un million de morts, la fin de ce monde des Grands, vain, ridicule, et assassin dont les privilèges vont disparaitre avec la Révolution de 1905 déjà puis celle de 1917 dans cette Russie qui craque de partout.
Il faut saluer au delà de l'excellente direction d'acteur de Laurent Pelly, les décors fabuleusement beaux de Barbara de Limburg et les éclairages fantastiques de Joël Adam.
Car il y a de la magie et du réel dans ce spectacle, c'était voulu par Pouchkine, puis par Rimsky-Korsakov, c'est parfaitement rendu par Pelly et son équipe.

Alain Altinoglu s'en sort bien, donnant au compositeur Russe, toute sa richesse musicale et le côté oriental cher à Rimski-Korsakov, sans en faire de trop, malgré l'omniprésence des solos de bassons et autres cuivres, qui sont maniés avec une certaine délicatesse que j'ai appréciée, par le chef Français.

La distribution est globalement excellente et on ne sait pas par qui commencer. Si, par Venera Gimadieva - (Tsarine de Chemakhane), adorable Reine de l'orient, fascinante de beauté et de grâce et dont le chant, tout en nuances, est très éloigné d'autres interprétations plus "virago" que j'avais entendus dans ce rôle, une belle surprise, mais les autres ne sont pas en reste :Pavlo Hunka ( Tsar Dodone) a parfois un timbre un peu usé mais sur l'ensemble de la prestation, il campe un beau tsar, très, très fatigué, très bien joué, Alexey Dolgov et Konstantin Shushakov (les deux Tsarévitch) ont de petits rôles qu'ils tiennent fort bien avec l'humour qui sied à leurs personnages assez ridicules et leurs duos baryton-ténor ne sont pas mal du tout, on peut saluer aussi la belle voix puissante et stridente de Alexander Kravets ( Astrologue) qui réussit l'exploit de rendre audible une partition assez casse-gueule avec de curieux aigus, et les performances honnêtes de Alexander Vassiliev ( Voïvode Polkane, chef des armées dans l'acte 1) et de Agnes Zwierko -(nounou Amelfa). Sans oublier les deux interprètes (charmantes) du Coq, l'une pour le chant (Sheva Tehoval ), l'autre pour la danse (Sarah Demarthe).

La retransmission de Arte ne comporte pas encore de sous-titres mais ODB a en archives, un très beau livret en Français, en vers s'il vous plait, qui est l'une des traductions les plus fidèles que je vous recommande. 

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Lohengrin


Richard Wagner

Direction musicale : Philippe Jordan
Mise en scène : Claus Guth
Heinrich der Vogler : René Pape
Lohengrin : Jonas Kaufmann
Elsa von Brabant :  Martina Serafin
Friedrich von Telramund : Tomasz Konieczny
Ortrud : Evelyn Herlitzius
Der Heerrufer des Königs :  Egils Silins


Première du 18 janvier 2017, ONP, Bastille

Très belle soirée pour moi à peine gâchée par les quelques habituels hueurs de mise en scène qui ont cru bon ne pas pouvoir déroger à la sacro-sainte et imbécile règle des huées lors des Premières à l'ONP, et qui ont exprimé leur mécontentement lors de la montée sur la scène de Claus Guth et de Christianne Lutz.

Et je commencerai par là : cette mise en scène avait déjà fait mon admiration lors de sa création à la Scala, elle confirme son adéquation à l'opéra de Wagner dont elle donne une interprétation passionnante qui fait qu'on ne s'ennuie pas un poil de seconde et que lors que retentissent les dernières notes on est presque frustré que cette splendide histoire si bien racontée musicalement, poétiquement et scéniquement soit déjà finie.
Certes, c'est un Lohengrin anti-héros qui se déploie (littéralement) sur la scène au fur et à mesure du déroulement de l'opéra. Avant de fondre et de disparaitre à nouveau.

L'incarnation de ce Lohengrin, héros malgré lui, qui a accepté cette mission du Graal, mais va échouer, qui refuse à plusieurs reprises ostensiblement son triste destin et celui d'Elsa mais ne pourra le conjurer, par Jonas Kaufmann est tout simplement unique. C'est sans doute pour cette raison que le voir et l'entendre, lui, dans ce rôle et cette mise en scène, revêtait pour autant de mélomanes, autant d'importance. Mûri sans doute par ses récentes difficultés (et les atteintes au moral qui en ont logiquement découlé et dont il parle aujourd'hui avec discrétion mais sans les cacher), il est peut-être plus bouleversant encore, plus profond, plus investi dans son rôle qu'en 2012. Kaufmann entre dans un personnage quand il arrive sur scène et il ne le quitte qu'aux saluts.
Comme la direction d'acteurs est admirable, tous les chanteurs sont largement sollicités bien au delà des moments où ils ont à chanter et Kaufmann tout particulièrement. Guth sait exploiter (au sens noble du terme ) ses talents d'acteur.

Concernant son chant, je reprends les qualificatifs de Placido : admirable de musicalité et d'intelligence dès son "Mein Lieber Schwann" (en mezzo voce audible du fond du parterre comme s'il chantait à côté de vous), il capte l'attention de la salle et déploie "son" Lohengrin, sa marque de fabrique, son interprétation.

Un peu plus sur la réserve (vocale) à l'acte 2, il explose à l'acte 3, a retrouvé son chant, sa voix, son sens des nuances et son "Tauuuuuube" dans In fernem Land est, comme à son habitude, tellement étrange et unique qu'on sait qu'il est bel et bien revenu.

Evelyn Herlitzius et Tomasz Konieczny sont également de très haut niveau, excellents acteurs et chanteurs, (la voix du baryton dépasse toutes les autres en puissance ce qui ne l'empêche pas d'avoir de belles nuances, il est bien meilleur qu'en shérif dans la Fanciulla et même qu'en Wotan qu'il a beaucoup chanté ces derniers temps). Leur duo de l'acte 2 est l'un des grands moments de la soirée, captivant et sidérant de noirceur et d'engagement. J'espère pouvoir entendre aussi Koch dans ce rôle, persuadée qu'il en donnera une version assez différente et surtout d'une bien meilleure diction car Konieczny n'est pas top de ce point de vue.
Herlitzius est, comme à son habitude, une torche vivante sur scène, son Otrud est à la hauteur de celle qu'elle avait campé à la Scala dans la même mise en scène, elle connait et habite parfaitement son perfide personnage et écrase, il faut bien le dire, la belle et très insuffisante Elsa.
Car Martina Serafin ne commence pas trop mal (comme souvent) mais ne tient pas très bien la distance (ha les pièges de Wagner pour les chanteurs), ce qui fait que lors du dernier acte, elle prend une voix légèrement criarde, on est très loin d'autres Elsa récemment entendues, sans drame mais sans bouleversement non plus.

Pape est imperturbable dans un rôle qui ne demande pas beaucoup d'imagination, la voix est parfaitement mariée avec celle des autres protagonistes, mais je l'ai trouvée très réverbérée lors de son entrée en scène, mieux ensuite, sans plus.

Je n'ai pas aimé l'ouverture de Jordan, trop de contrastes appuyés entre les cordes et les cuivres, pas assez de poésie, ni son acte 1 un peu brouillon. Par la suite c'est beaucoup mieux (ou j'ai moins fait attention).

Le public, globalement ravi, a ovationné les chanteurs à la fin de chaque acte, ils sont d'ailleurs venus saluer devant le rideau à chaque fois. La soirée s'est terminée par une ovation longue et appuyée de l'ensemble des chanteurs revenus saluer à plusieurs reprise devant le rideau. Le sourire et la joie évidente de Jonas Kaufmann, réussissant son retour dans des conditions difficiles, concluaient une soirée remplie d'émotions.

PS : à la question : JK est-il revenu à son top ? Je répondrai : oui et non. Il a donné une partition musicale globalement parfaitement maitrisée, mais, contrairement à son habitude, il a donné l'impression à plusieurs reprises d'avoir peur de ne pas réussir à franchir certaines difficultés vocales. Il les a toutes franchies, ses aigus longs et forts étant là pour prouver qu'il a retrouvé l'intégralité de sa corde vocale âbimée. Et son final était, lui, du Kaufmann des bons jours à 110%. (je n'ai entendu qu'un micro-couac mais bon, mon oreille doit être sélective )

PS2 : j'ai croisé lors de l'entracte 2, des amis peu habitués d'opéras, dont l'un n'aimant pas Wagner, qui étaient éblouis par la prestation d'hier soir, singulièrement par Jonas Kaufmann, qu'ils découvraient, et par la mise en scène, l'un et l'autre rendant l'opéra littéralement passionnant.











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Trompe-la-Mort

Création mondiale, oeuvre de 2017 de Luca Francesconi.

Stéphane Lissner avait à coeur dans le cadre de son mandat à l'ONP, de promouvoir de nouvelles oeuvres basées sur la littérature française. Trompe-la-Mort est donc une commande qu'il a passée au compositeur Italien Luca Francesconi que nous entendrons pour la première fois à l'opéra Garnier, hier le 13 pour l'avant-première jeune, et jeudi 16 mars pour la Première.
C'est une femme, la chef d'orchestre Finlandaise Susanna Mälkki qui dirigera l'oeuvre. Distribution très francophone (et brillante) pour un livret en Français.
(je signale aux amateurs de Strauss - dont je suis d'ailleurs - qu'elle dirigera également un concert à Garnier le 6 avril où figurera "Also sprach Zarathustra" et d'autres oeuvres passionnantes d'ailleurs et qu'il reste des places !).

Musique Luca Francesconi
Livret Luca Francesconi
D'après Honoré de Balzac


Direction musicale : Susanna Mälkki
Mise en scène : Guy Cassiers

Vautrin / Trompe-la-mort / Jacques Collin : Laurent Naouri
Esther : Julie Fuchs
Lucien de Rubempré : Cyrille Dubois
Le Baron de Nucingen : Marc Labonnette
Asie : Ildikó Komlósi
Eugène de Rastignac : Philippe Talbot
La Comtesse de Sérizy : Béatrice Uria-Monzon
Clotilde de Grandlieu : Chiara Skerath
Le Marquis de Granville : Christian Helmer
Les Espions :
François Piolino
Rodolphe Briand
Laurent Alvaro

Costumes Tim Van Steenbergen
Dramaturgie Erwin Jans
Vidéo Frederik Jassogne
Chef des Choeurs : Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris

Petit retour sur cette Première d'une première mondiale.

Une création d'opéra représente toujours pour moi un petit événement dans l'art lyrique. On arrive sans trop d'idées préconçues, personne n'a jamais vu l'oeuvre avant nous et donc personne n'en a rien dit de crédible en tous cas.

Bien sûr ce n'est pas non plus un terrain vierge : nous connaissons le travail musical de Luca Francesconi (pas tout le monde, il y a eu quelques soupirs lors des premières notes...puis je pense que sa musique a conquis une grande partie du public), nous connaissons aussi Balzac (enfin presque tous là aussi... ), le personnage haut en couleur de Vautrin (Trompe-la-mort, Jacques Collin ou Carlos Herrera, personnage multiple inspiré de Vidocq) qui se glisse à peu près dans tous ses romans, l'homme fascinant hors-la-loi aux multiples identités qui deviendra chef de la police après s'être évadé du bagne, ceux de Rubempré et de Rastignac (ce dernier est même devenu un archétype, symbole de l'ambition du jeune homme venu de province à la conquête de Paris). Très récemment l'économiste Thomas Piketty s'est longuement appuyé sur la littérature de Balzac pour son analyse du capitalisme (" Le Capital au XXIe siècle") qui fut un vrai succès de librairie, inhabituel dans ce domaine, notamment à cause du caractère vivant des éléments qu'il a rapporté des ouvrages de Balzac sur les usuriers, les investisseurs hasardeux, la tentation de la richesse facile et l'inéluctable loi de la classe sociale qui renforce finalement les inégalités. La Comédie Humaine, se voulait une suite de romans rendant compte des rouages de la société et servant de repères aux futures générations. Les romans de Balzac brossent donc un portrait sociologique tout en donnant une large part aux personnages, à leurs amitiés, à leurs élans amoureux, aux envies, aux lâchetés et au courage. Son propos est sans ambiguité : ce sont toujours les riches qui s'en sortent et les pauvres qui payent l'addition.

Francesconi a pris manifestement le parti de construire son oeuvre, centrée sur l'intrigue de "Splendeur et misères des courtisanes", sur ce double aspect : l'aspect social du 19ème siècle (et ses tragédies spéculatives...) et l'aspect humain des relations entre les personnages avec les figures emblématiques du jeune Rubempré, du vieux routard Vautrin, qui se prend d'amitié (et même un peu plus ) pour la naiveté du jeune homme et de la prostituée Esther dont Lucien est amoureux, que Vautrin lui interdit d'aimer, tout ambitieux qu'il est pour son jeune poulain.
Le livret est fort, les paroles prononcées sont assez fidèles au texte (et même au style de Balzac) tout en épousant une ligne musicale mélodique contemporaine (qui met parfois les chanteurs dans leurs limites sur les aigus). L'orchestration est plutôt sobre (cuivres dominants, quelques très beaux solos de piano et de harpe, stéréo avec les percussions installées dans les deux loges de côté, très subtil dialogue écrit entre instruments et voix, il n'y a guère que deux fois que le roulement trop important de décibels a noyé les voix, ensemble très saisissant et très bien conduit par Susanna Mälkki.

La mise en scène est intelligente et l'on sent, avantage des créations, que Guy Cassiers a travaillé avec l'auteur-compositeur à chaque instant. Les décors sont composés de vidéos projetées sur de longs rubans (style Lear de l'an dernier), représentant les beautés (cachées ou non) de l'opéra Garnier du sous-sol au toit, des coulisses aux salons d'apparat. C'est le symbole double ou triple, de Paris, Paris l'art, Paris le riche, Paris la grande société). Une sorte de rail permet aux acteurs de glisser sur le devant de la scène un peu comme des automates sur un petit théâtre, c'est élégant et harmonieux.

Les personnages sont très bien campés et symbolisés, chacun dans leur style (avec les multiples facettes de Vautrin, fabuleux Laurent Naouri qui change de voix, d'accent et de figure selon qu'il est déguisé en Vautrin ou en Carlos Herrera curé espagnol dont il a usurpé l'identité), à la fois scéniquement, musicalement et vocalement. L'élégance du chant de Lucien est un "must", parfaitement bien rendu d'ailleurs par Cyrille Dubois qui semble avoir trouvé là le rôle de sa jeune carrière. Julie Fuchs est la jolie Esther, la prostituée jeune et gracieuse, dont Lucien peut tomber amoureux mais qui aurait le destin fatal de son origine sociale. Ses airs sont souvent délicats, déchirants aussi, elle a la faconde de son "métier" tout en ayant le charme de la jeune fille. Merveilleuse prestation aussi.
Mais ma découverte de la soirée fut le baryton Français Christian Helmer : voix splendide, très assurée, fort belle, sa partition pour le Marquis de Granville était tout à fait avantageuse, il campe un fort beau personnage et il m'a beaucoup impressionnée par l'ensemble de sa prestation.
La Comtesse de Sérizy de Béatrice Uria-Monzon est truculente à souhait, quel jeu magnifique (quelques aigus un peu criards mais dans le style...) et la Clotilde de Grandlieu de Chiara Skerath, plus discrète tient bien sa place également.
Les Espions (François Piolino, Rodolphe Briand,Laurent Alvaro) forment un trio épatant de drôlerie jouant un peu le rôle du choeur dans le théâtre antique.
Le Baron de Nucingen de Marc Labonnette est le vieillard libidineux qu'on attend, riche et vieux, qui peut tout puisqu'il a le pouvoir.
Ma seule déception a été le Rastignac de Philippe Talbot, dont la sonorité de voix est largement inférieure à celle de ses comparses (et notamment celle de Cyrille Dubois) ce qui donne l'impression qu'on a brusquement baissé le son. Etrange impression....
je souligne ici aussi le plaisir de voir une distribution dominée par les chanteurs Français, de plusieurs générations, tous très talentueux et se révélant particulièrement doués pour une musique qui n'est pas leur quotidien. L'unité de l'équipe est évidente et plaisante à voir, la performance scénique et musicale, très appréciable.

Deux heures quinze donc , sans entracte, sans ennui (pour moi ), avec le sentiment agréable d'avoir découvert en direct une oeuvre dont je n'ai sans doute perçu d'ailleurs qu'une partie des richesses.


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