Rigoletto - ONP Paris Bastille - 27 mai 2017
Rigoletto
Melodramma en trois actes (1851)
Giuseppe Verdi
Livret Francesco Maria Piave
D'après Victor Hugo, Le Roi s'amuse
Direction musicale Daniele Rustioni
Mise en scène Claus Guth
Avec
Il Duca di Mantova : Vittorio Grigolo
Rigoletto : Željko Lučić
Gilda Nadine Sierra
Sparafucile Kwangchul Youn
Maddalena Elena Maximova
Giovanna Marie Gautrot
Il Conte di Monterone Robert Pomakov
Marullo : Christophe Gay
Matteo Borsa : Julien Dran
Il Conte di Ceprano : Mikhail Timoshenko
La Contessa Veta Pilipenko
Paggio della Duchessa Laure Poissonnier
Usciere di Corte Christian Rodrigue
Moungoungou
Décors Christian Schmidt
Costumes Christian Schmidt
Chorégraphie Teresa Rotemberg
Lumières Olaf Winter
Dramaturgie Konrad Kuhn
Vidéo Andi A. Müller
Chef des Choeurs José Luis Basso
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Première le 27 mai 2017.
Reprise de la production de Claude Guth
créée à l'ONP la saison précédente.
Dès les premières mesures, l'émotion est
présente, la toute première "scène" bouleversante : le double de
Rigoletto, clochard, arrive avec son carton sous le bras et l'ouvre pour en
sortir la robe blanche ensanglantée.
Rustioni fait donner cuivres et timbales
et, malgré la chaleur ambiante, nous frissonnons. Le drame va se dérouler sous
nos yeux, il est annoncé, il prend déjà le spectateur aux tripes.
Ce "double" est diablement
efficace puisque avec ou sans son carton, avec ou sans sa robe ensanglantée il
se rappelle au bon souvenir du vrai Rigoletto à chaque étape du drame (quand
Monterone le maudit, quand le Duc arrive avec ses amis etc), créant une
angoisse en lien direct avec les thèmes musicaux de Verdi.
Et c'est ce qui est le plus admirable dans
le travail de Guth : il épouse, entrelace, valorise, souligne la musique de
Verdi dont on sait à quel point elle illustre les changements d'atmosphères de
l'opéra au millimètre.
On peut discuter certains choix : celui du
Duc se "shootant" à l'arrière de la scène au milieu des danseuses de
revue avec plumes se trémoussant (surtout que Grigolo ignorant la sobriété d'un
Fabiano l'an dernier, en fait trois tonnes), tandis qu'à l'avant scène, Gilda
se désespère de ce que lui montre son père de la vraie nature des séducteurs,
mais la scène revue pour la troisième fois, m'a, cette fois, réellement
convaincue.
Et surtout, les choeurs, les ensembles, les
danseurs, tout est prévu, en place, en mouvement, en phase à chaque instant, et
rend ces parties musicales passionnantes, intégrées dans l'oeuvre et faisant
sens.
L'entente entre le jeune chef Rustioni, les
choeurs, les ensembles de danseurs, les mouvements sur scène et l'ensemble de
cette mise en scène, est à saluer globalement. De la belle ouvrage qui fait
plaisir à voir.
Mais tout cela ne serait rien sans les
interprètes.
Mais Gilda c'est son rôle.
Elle est Gilda.
C'est rare que je sois scotchée dès son
entrée en scène par un-e artiste qui ne m'avait pas convaincue quelques mois
plus tôt, mais hier soir, ce fut le cas.
Elle a ce je ne sais quoi d'étrange et
d'extraordinaire qui unifie ce qu'elle chante, ce qu'elle vit, sa manière de
jouer son personnage plus exactement d'endosser ses habits, tout cela avec une
silhouette gracieuse, jeune et parfaite, une bien belle technique vocale et un
timbre étonnant lui aussi mais qui vous prend et ne vous quitte plus.
J'imagine qu'elle aura ses détracteurs
comme tout artiste qui sort de l'ordinaire mais en ce qui me concerne, elle m'a
"accroché" comme on dit et je ne l'ai plus quittée des yeux et des
oreilles durant tout l'opéra, fascinée par sa prestation.
Dès le "Figlia... Mio padre ",
alors qu'elle garde encore un timbre jeune, un rien acidulé, sa manière de
moduler l'air, a ceci d'à la fois innocent, gracieux et juvénile tout en
annonçant par certains accents, le futur drame, qui m'a fait frissonner
immédiatement.
Sa voix s'élargit, ses aigus sont d'une
sûreté et d'un aplomb absolu tout en restant délicats quand elle affirme son
amour de femme (Giovanna, ho dei rimorsi ), dans ses échanges avec le Duc (E il
sol dell’anima ) et surtout dans son "caro nome".
Dans l'acte 2 son "Tutte le feste al
tempio." monte encore d'un cran tandis qu'elle raconte son enlèvement et
que les quelques danseurs figurants miment le récit. Elle est pieds nus
(terriblement simple et émouvant), sa robe blanche est froissée, elle a perdu
son innocence. On pleure avec elle.
Elle meurt dans un suprême instant
d'émotion, un de ces moments dont on rêve toujours à l'opéra, le duo avec un
Rigoletto qui donne tout (enfin), elle qui traverse la scène comme une
somnambule, sa voix qui s'est fait toute petite mais toujours aussi belle et
émouvante, lui qui enfle la sienne, Rustioni qui donne toute la gomme, bref le
tonnerre d'applaudissements qui suit est littéralement "libérateur".
Presque trop d'émotions, pour un peu, les larmes commençaient à couler....
Ensuite, sans qu'aucun des interprètes ne
démérite vraiment, on tombe un petit cran en dessous.
J'avais déjà entendu le Rigoletto de Željko
Lučić (tout comme son Germont père l'an dernier à Bastille ou son Gerard à
Londres) et je peux encore lui faire le reproche de ne guère varier ses
interprétations qu'il chante un rôle ou un autre. Mais cela reste honnête sinon
grandiose et il sait donner de l'émotion sur les grands airs sans soulever
l'enthousiasme pour autant.
Soulignons quand même un final réussi et
des duos avec Nadine Sierra bien en place. Mais il vocalise peu ou pas, ne
chante pas les aigus, c'est assez plat et on est très loin des performances du
Rigoletto de référence, Léo Nucci, avec lequel Nadine Sierra rechantera Gilda
d'ailleurs cet été à Orange (ça promet ...)
Concernant le Duc, Vittorio Grigolo n'est
pas à son meilleur à mon sens. Paradoxalement, bien qu'il chante nettement
mieux que Michael Fabiano vu l'an dernier à la même place, il joue de manière
beaucoup moins subtile et intéressante ce rôle de séducteur dont on peut penser
qu'il est réellement tombé amoureux de l'innocente Gilda avant de "passer
à autre chose". Il ne manque pas de fougue dans ses déclarations d'amour,
il arrive même sur scène avec son "Ti amo" dans le dos de Gilda, la
couvrant immédiatement de ses bras et de son volume de voix.
Mais c'est trop souvent surjoué, appelant
le rire plutôt que l'émotion, et on voit Grigolo plutôt que le duc.
Comme il a beaucoup d'aisance dans la voix
(malgré un timbre qui s'assombrit et n'est pas toujours très beau), il se joue
de toutes les difficultés avec beaucoup plus de facilité que Fabiano ou Demuro
l'an dernier, ses aigus sont triomphants, la voix est forte et bien projetée,
l'artiste est à l'aise (et en prend parfois à son aise en démarrant "la
donna e mobile" dans un tempo accéléré qui a failli faire perdre les
pédales au chef) et plaisant à regarder, bref, s'il n'a pas été la vedette de
la soirée malgré son immense notoriété, il a été largement ovationné comme il
le méritait.
Etonnée et hésitante sur la Maddalena d'Elena
Maximova : cette artiste a une voix au centre de gravité assez bas (contralto
plutôt que mezzo) ce qui fait que dans les graves, elle a un timbre superbe et
surprenant. Mais dès qu'elle "monte", on n'entend presque plus rien
(fâcheux saut de registre qui donne l'impression d'entendre deux chanteuses
différentes).
Le Sparafucile de Kwangchul Youn est inégal
comme toujours avec cette basse : des trous dans l'unité du timbre et de grands
moments.
J'ai bien aimé le Conte di Monterone de Robert
Pomakov (tout en me disant comme à chaque fois, que cette scène évoque Don
Giovanni de tous les points de vue...) et les rôles secondaires sont bien joués
et bien chantés.
Le public a manifestement beaucoup apprécié
tous les artistes, grosses ovations finales pour une salle à peu près remplie
(mais pas complètement) et une reprise que j'ai revue avec plaisir (et même un
peu plus... )
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