Otello - Londres ROH - 24 juin 2017
Otello
Giuseppe Verdi
Livret de Arrigo Boito
Chef d'orchestre : Antonio Pappano
Mise en scène : Keith Warner
Décor : Boris Kudlička
Costume : Kaspar Glarner
Lumières : Bruno Poet
Distribution A : 21-24-28 juin et 2-6-10
juillet
Distribution B : 8-12 et 15 juillet
Otello : Jonas Kaufmann /Gregory Kunde
Desdemona : Maria Agresta /Dorothea
Röschmann
Iago : Marco Vratogna/Željko Lučić
Cassio : Frédéric Antoun
Roderigo: Thomas Atkins
Emilia : Kai Rüütel
Montano : Simon Shibambu
Lodovico : In Sung Sim
Un Héraut :Thomas Barnard
Choeurs de l' Opera sous la direction de
Vasko Vassilev
Orchestre du Royal Opera House
Otello, soirée du 24 juin 2017 – Royal Opera House-
Londres.
Je ne sais pas si Otello est le "rôle
des rôles" pour un ténor mais je crois qu'on peut faire confiance à Jonas
Kaufmann quand il a déclaré plusieurs fois, que réussir ce rôle c'était comme
gravir l'Everest dans sa carrière d'artiste. Kaufmann connait bien l'Otello de
Verdi pour avoir été un Cassio, remarqué, à de multiples reprises. Il y fait
souvent référence dans ses entretiens pour rappeler que Cassio fut son premier
rôle à la Bastille et qu'on l'avait affublé d'une perruque blonde. Les extraits
encore visibles sur Youtube montre un Cassio virevoltant et jouant la scène où
Iago le saoule avec une fraicheur et une verve sans retenue.
Passer de Cassio à Otello lui aura pris
treize ans.
Treize ans d'une très longue maturation
dont il parle également souvent : il a eu des dizaines de propositions pour son
premier Otello et il a longtemps considéré que le rôle était trop dangereux
pour sa technique et pour sa voix, qu'il prendrait trop de risque à se lancer
trop tôt, qu'il fallait -comble de la difficulté- rendre crédibles les
errements et la folie du personnage scéniquement tout en "passant"
vocalement toutes les difficultés techniques. Sombrer dans la folie peu à peu
sans perdre pied, exprimer la douleur et la fureur sans se casser la voix pour
lui garder un lyrisme nécessaire aux passages amoureux.
Il a donc choisi Londres et plus
exactement, il a choisi Pappano et donc Londres.
Il se trouve que de nombreux accidents ont
émaillé sa carrière avant ce rendez-vous et qu'après lui avoir prédit fort
souvent qu'il ne réussirait jamais à chanter Otello, la presse internationale
de la planète lyrique a brutalement changé d'avis pour en faire l'événement de
la saison et s'y précipiter en grand nombre.
Heureux Kaufmann dont les nerfs d'acier
résistent à cette pression inouïe (et rare à ce niveau de nos jours... ) et que j'ai même croisé à Londres courant à
un rendez-vous, pressé mais souriant, saluant ceux qui le saluaient sans cesser
de courir au risque de se faire écraser juste devant l'opéra (un comble).
Il parait qu'il a passé pas mal de temps à
signer des autographes, assis à une table au vestiaire du ROH, pour ses fans,
juste après la représentation de samedi...
Alors cet Otello ?
Je saluerai l'incroyable beauté du chant du
ténor Bavarois tout d'abord. A croire que Kaufmann
a changé à l'occasion le centre de gravité de sa voix tant ses aigus étaient
lumineux et francs, naturels, jamais forcés. Il ressemblait plus que jamais à
un ténor à timbre de baryton, une espèce rare qui n'a rient à voir avec un
baryténor terme dont il est parfois affublé à tort. Mais il peut sans problème
passer du style lyrique pur à un style dramatique ou héroïque sans perdre de
puissance.
Des hauteurs de l'amphi en
"upper-hight" places où j'étais, les pianissimo de son duo avec
Desdemona prenaient tout leur sens et exprimaient une sensibilité extrême rare dans
ce rôle.
Prise de rôle réussie sans aucune réserve
pour moi sur le plan vocal et, sans doute, bien au delà des attentes,balayant
toutes les craintes. Pour l'essentiel les dizaines de critiques rendent compte
d'ailleurs de cette renaissance du ténor.
Sur le plan scénique, les critiques sont
davantage partagées, l'Otello de Kaufmann
est déroutant incontestablement mais son interprétation, qui gagnera
probablement en qualité de représentations en représentations, est séduisante
même si elle n'est pas toujours convaincante.
Il a eu incontestablement raison de
préparer son Otello avec Pappano mais ce faisant, il n'a pas donné dans la
facilité : Pappano mène l'orchestre
sur un tempo très rapide, créant une tension qui ne se relâche jamais, y
compris pendant les scènes d'amour comme si, l'interprétation dont ils étaient
convenus, Kaufmann et lui, ne
pouvait pas laisser de "moments heureux" complets dans cette histoire
de descente aux enfers. Comme si, en permanence, le piège se refermait
inéluctablement sur un Otello qui doute d'abord de son identité, de sa
séduction, de sa virilité, pour mieux tomber dans le piège grossier tendu par
Iago.
Pappano dirige serré avec le maximum de
décibels, pressant son héros, sans lui laisser le moindre répit et Kaufmann épouse ce style tourmenté
(assez peu romantique contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là), rempli de
multiples fêlures, qui va s'enfermer dans sa folie meurtrière. Iago n'est qu'un
prétexte, le mouchoir une raison futile, le doute l'habite dès le début et le
détruit.
Une telle osmose entre le chef et le ténor,
laisse peu de places aux autres.
Et c'est ce qui m'a le plus gênée.
Comme si tout le monde s'était mis d'accord
(les intéressés compris) sur le fait qu'ils n'avaient qu'à chanter et à
"exprimer" leurs rôles comme ils le voulaient.
Frédéric
Antoun avec son Cassio s'en sort plutôt bien (ce
qui prouve qu'il est doué ). Mais la
pauvre Maria Agresta qui n'est pas
une actrice née, n'arrive jamais à trouver ses marques. Comme elle n'a pas une
voix exceptionnelle qui lui permettrait de traduire au moins vocalement, les
évolutions de son personnage, elle fait le job mais sans jamais nous émouvoir.
Quant à Iago, outre le fait que Marco Vratogna ne chante pas très juste
et que sa ligne de chant est assez "cassée", peu d'harmoniques dans
la voix et peu de nuances dans le chant, il fait visiblement ce qu'il sait
faire : un Iago caricatural, à l'image de nombreux Iago des représentations
passées par ailleurs, mais qui ne "répond" absolument pas à l'Otello
que Kaufmann incarne.
C'est une sacrée limite qui se verra
peut-être moins ce soir au cinéma mais qui laissait une impression d'inachevé
samedi soir dans la salle.
"Toute première fois" a dit un
critique sur un site de webopéra.
Oui et Kaufmann
parviendra sans aucun doute à convaincre de son interprétation mais je ne crois
pas qu'il faille attendre qu'il en change.
Certains critiques ont souligné qu'il
créait un "nouvel" Otello (comme d'autres avant lui avaient marqué le
rôle de leur empreinte). Je pense que cet Otello se déploiera totalement avec
d'autres partenaires capables d'une totale interaction avec lui. Ludovic Tézier a montré qu'il excellait
dans leurs duos dans deux opéras de Verdi qui en comptent beaucoup : Don Carlo
et la Forza del destino. Son absence se fait cruellement sentir. Et le petit
aperçu qu'avait donné Harteros à Baden Baden dans le duo d'amour laisse
entendre qu'à trois ils seraient le ticket gagnant que j'ai eu la chance
d'entendre dans Don Carlo comme dans la Forza. L'alchimie qui fait le plus et
les soirées inoubliables.
Quant à la mise en scène (sans grand
intérêt), deux mots quand même : elle est sans doute visuellement plus parlante
vue d'en haut de l'amphi et ce sera également le cas, je pense au cinéma. Elle
travaille essentiellement sur l'accompagnement visuel de la descente aux enfers
d'Otello : parois qui se resserrent, qui se ferment peu à peu, influence arabe
de plus en plus présente, dans les costumes comme dans les arabesques de
l'Alhambra reproduites, assombrissement progressive de la scène (sauf la
chambre, pour le meurtre final), énorme lion symbole de la puissance (factice)
d'Otello qui se brise en morceaux tapis dans une niche, symbole de la raison
brisée du Maure.
Séance de retransmission cinéma du 28 juin 2017
J'ai trouvé que Jonas Kaufmann, outre le
caractère séduisant que je soulignais dans mon récit"live" (séance du
24 juin) de l'interprétation qu'il propose, était de plus en plus convainquant
dans son choix, après la retransmission cinéma qui souligne en gros plans les
expressions de visage invisibles depuis les hauteurs de l'amphi du ROH.
Il est évident que ce choix est loin de
faire l'unanimité, tant il est en rupture sur bien des aspects avec les Otello
de référence la plus récente (Domingo pour moi comme pour beaucoup de lyricomanes)
et il est tout aussi évident qu'il ne convainc pas tout le monde.
Dont acte.
Personnellement, sa prestation d'hier soir
vue au cinéma, plus encore que celle du 24 dans la salle, m'a profondément
marquée et me laissera longtemps d'étranges souvenirs d'un Maure de Venise
littéralement torturé par le doute, la jalousie, quant à sa propre identité, sa
propre virilité, proie facile d'un Iago démoniaque dont le dessein est de
détruire un homme, fragile forcément fragile sous la cuirasse.
Il est impressionnant vocalement, on l'a
dit, mais j'ai ressenti toute cette panoplie vocale et technique qui lui est
bien personnelle, totalement mise au service de cette interprétation, des
passages chantés avec colère et force sans jamais perdre la beauté du timbre,
aux graves lyriques des passages amoureux presque susurrés à l'oreille du
spectateur.
Rien ne sert à mon avis d'incriminer le
metteur en scène si on n'a pas (contrairement à moi) été touché par son
interprétation : je crois Jonas Kaufmann excellent acteur et parfaitement maitre
de son choix indépendamment de tout directeur d'acteur. S'il ne convainc pas
c'est que sa traduction de ce qu'est Otello ne convainc pas.
Moi si.
Je considère qu'il est bien plus proche du
texte, presque mot à mot, texte plein de tendresse en même temps que de bruit
et de fureur, texte ambivalent comme l'est la musique de Verdi, changeante et
colorée, qui de la Tempête à l'air du saule, propose bien des couleurs
différentes à cet opéra.
Je ne pense pas que Kaufmann changera
fondamentalement d'Otello comme je l'ai écrit dès mon premier compte-rendu. Il
n'a jamais changé de Don Carlo bien que celui-ci ait été fort critiqué à ses
débuts dans le rôle (trop torturé, trop introverti, trop "fêlé",
manque de panache et d'Italianité ). Le
propre de cet artiste c'est de proposer sa version.
Il prend un risque, celui d'innover et de
rater son pari fondamental : convaincre le public.
Je ne suis pas sûre que ce soit le cas de
cet Otello. On verra à l'usage.
Quelques autres réflexions concernant la
retransmission cinéma :
- la mise en scène est assez fonctionnelle
au cinéma comme je m'en doutais : outre les gros plans qui font apparaitre le
grand soin porté par tous les chanteurs à "jouer" leurs rôles au plus
près du livret, la mise en scène est très fidèle jusqu'au moindre détail à tout
ce qui se dit dans l'opéra. Il ne manque rien et ma foi, c'est assez agréable à
regarder. Le final est un peu trop sanglant (erreur sur la poche d'hémoglobine)
mais outre ce petit raté technique, le reste fera un très beau et très soigné
DVD.
- Agresta et Vratogna se sont nettement
améliorés à mon sens et l'interaction entre tous les personnages est bien
meilleure voire de très haut niveau à plusieurs reprises.
- j'avais oublié de féliciter les rôles
secondaires qui sont nettement et justement valorisés par la retransmission
cinéma.
Cet Otello a été retransmis dans de nombreux cinémas dans le monde en direct le 28 juin. Il est à nouveau diffusé dans beaucoup de salles de cinémas, notamment aux USA. En attendant un DVD.
http://www.wqxr.org/story/jonas-kaufmann-tackles-otello/
Cet Otello a été retransmis dans de nombreux cinémas dans le monde en direct le 28 juin. Il est à nouveau diffusé dans beaucoup de salles de cinémas, notamment aux USA. En attendant un DVD.
http://www.wqxr.org/story/jonas-kaufmann-tackles-otello/
J'ai vu la retransmission ciné, et effectivement, cette mise en scène (qui ne casse pas des briques, mais n'est pas désagréable à regarder et respecte l'œuvre) est très cinégénique.
RépondreSupprimerKaufmann propose un Otello qui peut dérouter, essentiellement à cause de son choix d'insister sur le côté fragile (psychologiquement parlant) du personnage. Ca change du chef de guerre "brut de décoffrage", et met l'accent sur le drame intime du personnage, et ses failles (notamment dans sa relation avec Desdémone) failles que Iago saura très bien utilisé.
Dans ce rôle, Vratogna est trop histrionique. Un bref extrait aperçu me fait penser que Lucic l'est beaucoup moins.
Agresta fait ce qu'elle peut. Personnellement, contrairement à beaucoup, le passage de l'Air du Saule ne n'ennuie pas (du moins dans l'opéra, en concert, je trouve ça mortel) et elle est arrivée à me toucher dans ce passage.
Mise en scène de cette dernière partie un peu ratée (les hésitations d'Otello qui prend un sabre, et puis non, renonce, le trop-plein de sang...) mais rien de catastrophique.
Enorme regret tout de même que Tézier ait été éjecté de la production pour des raisons fumeuses.