Jephtha - Haendel - Samedi 13 janvier 2018 - Opéra de Paris Garnier

Jephtha

Oratorio en trois actes

de Georg Friedrich Haendel

Livret Thomas Morell 
Disponible par ce lien :

En langue anglaise

Direction musicale : William Christie
Mise en scène : Claus Guth

Avec

Jephtha : Ian Bostridge (ténor)
Storgé : Marie-Nicole Lemieux (mezzo)
Iphis : Katherine Watson (soprano)
Hamor : Tim Mead (contre-ténor)
Zebul : Philippe Sly (baryton)
Angel : Valer Sabadus (conte-ténor)

Décors : Katrin Lea Tag
Lumières : Bernd Purkrabek
Vidéo : Arian Andiel
Chorégraphie : Sommer Ulrickson
Dramaturgie : Yvonne Gebauer


Chef des Choeurs François Bazola
Orchestre et Chœur des Arts Florissants

Coproduction avec De nationale Opera, Amsterdam

Jephtha, oratorio de Haendel sur un livret en anglais du révérend Thomas Morell, basé sur des récits de l'Ancien Testament, raconte l'histoire de Jephtha, que Zebul fait rappeler de son exil pour qu'il sauve le peuple Israélite des attaques du peuple Ammonite.
Jephtha, malgré les inquiétudes de sa femme Storgé, accepte le défi pour sauver son peuple mis à mal par l'ennemi depuis 18 ans et que Jehovah (Dieu) n'éclaire plus. Jephtha, pour s'assurer la victoire, se tourne alors vers Jehovah pour lui proposer un marché : il sacrifiera la première personne qui viendra l'accueillir à l'issue de la bataille si Dieu l'aide dans la victoire. La puissance divine dépêche une cohorte de chérubins armés qui assure la défaite des Ammonites.
Mais c'est Iphis, fille de Jephtha qui s'avancera en tête du cortège venu honorer son père après la victoire...son fiancé Hamor propose de prendre sa place en vain. Iphis accepte le coup fatal du sort.
Mais....
On ne raconte pas la fin...

Jephtha fera son entrée au répertoire de l'Opéra de Paris dans cette mise en scène de Claus Guth déjà donnée à Amsterdam fin 2016.

Les mots-clé sont "It must be so", premier vers du livret autour desquels Guth a bâti sa mise en scène.
Il doit en être ainsi.
A moins que....

Jephtha est un oratorio pour lequel il n'est donc pas a priori prévu de mise en scène. Il est donc composé "d'airs" et de "récitatifs" des différents solistes et donne un rôle central au Choeur, véritable personnage à part entière.

Il n'est pas recommandé non plus d'applaudir en cours de route.





Première du 13 janvier à l'opéra de Paris Garnier, impressions.
C’était la première fois que je voyais l’oeuvre de Haendel sur scène et si j’ai globalement apprécié l’ensemble de la réalisation, il me semble que l’oeuvre est trop longue et comporte trop de thèmes et de vers répétés à l’infini en litanies pour être vraiment transformé en “opéra”.

Cet air de Jephtha par exemple comprend ces quatre vers (superbes) répétés quatre fois :
Open thy marble jaws, O tomb,
And hide me, earth, in thy dark womb,
Ere I the name of father stain,
And deepest woe from conquest gain.
Open..... (da capo)

Le style de l’oratorio nuit à la dynamique de l’action et ce récit biblique prend la forme de stances religieuses. Peu d’interaction prévue entre les personnages et une omniprésence des choeurs qui ne sont pas censés jouer quelque rôle que ce soit mais plutot invoquer Dieu, le destin, les malheurs du monde et la faiblesse des hommes.
Il fallait tout le talent de Christie et de ses Arts Florissants pour donner un sens à cette musique baroque parfois lancinante, et lui insuffler le plus souvent une vie réelle sans pouvoir, évidemment, éviter quelques tunnels où l’assoupissement menacerait sans mise en scène.

Le challenge de Guth (dont la Bohème récente à Bastille a été plus que vilipendée par les critiques) n’était donc pas facile : rendre vivant trois heures d’un long morceau musical dont la beauté est incontestable mais qui ne prête guère à la création de grands moments héoriques malgré son thème.
Je dirais que globalement, à partir de son choix de styliser à l’extrême les situations, d’en illustrer la symbolique, et de donner aux chanteurs une belle direction d’acteur, il a réussi son pari. Globalement mais pas dans tous les détails : les bruitages et les doubles qui sont décidément incontournables dans sa conception, m’ont paru cette fois superflus (ils restent toutefois limités...).

Esthétiquement très beaux les décors adoptent ce parti pris d’illustration simple permettant une dynamique de l’action qui ne soit pas noyée dans les détails. Plateau nu et gris, ciel clair, sombre, étoilé, chargé de nuages selon les situations, porte blanche seule ouvrant sur nulle part et qui se déplace, et surtout les deux bonnes trouvailles que sont les lettres géantes It Must be so se déplaçant dans l’ordre puis dans le désordre ou par deux dans les duos, et l’énorme nuage qui descend des cintres pour menacer le genre humain.



Les lumières entretiennent un clair-obscur oppressant parfois brutalement éclairé par un rayon lumineux descendu du ciel ou par des milliers de confettis de toutes les couleurs.
Les figurants danseurs et les choeurs sont rarement immobiles et entretiennent également une animation bienvenue à l’oratorio.
Jephtha est une oeuvre sur le destin, la fatalité.

Il en doit en être ainsi.
Jephtha après avoir triomphé des ennemis de son peuple (dont le Dieu unique est austère et juste) doit sacrifier sa fille venue fêter son retour. La porte blanche s’ouvre au milieu du plateau alors qu’elle danse, couronne de fleurs sur la tête au milieu des jeunes filles en fleurs. La porte s’ouvre et Jephtha apparait, grand manteau militaire, longue chemise ensanglantée. Emotion et choc.

Guth est un bon directeur d’acteur en général (qu’on se rappelle Fidelio à Salzbourg ou Lohengrin à la Scala puis à Paris) qui ne laisse jamais ses chanteurs sans consigne.

Il réussit mieux évidemment quand il a de bons acteurs capables d’incarner les personnages.
Et là il faut se féliciter du très bon plateau proposé pour ce difficile exercice.

Le Jephtha du ténor britannique Ian Bostridge est tout à la fois déchirant dans son drame personnel et terriblement humain dans son amour pour sa fille, sa femme, et son... devoir. Guerrier impitoyable fondant en larmes dans les bras de sa fille, il est capable de cette force virile-fragilité humaine que peu de chanteurs savent incarner sur scène, non seulement par l’expressivité des traits du visage et des postures, mais aussi par la voix et ses modulations. Son timbre est clair, lumineux. La maitrise du rôle est parfaite sur le plan vocale, vocalises comprises mais il a en plus des interprètes du baroque habituels, un ressort dramatique qui fait mouche. Avec ses faux airs de David Bowie il est si convainquant de tous les points de vue qu’on imagine désormais Jephtha sous ses traits.



Sa fille Iphis, qui doit être sacrifiée, est incarnée avec beaucoup de délicatesse et de fraicheur par Katherine Watson. Elle sait chanter avec un charme fou la jeune fille innocente, qui cueille des fleurs, se laisse courtiser par Hamor, en joue avec espièglerie puis organise le retour de son père avant de comprendre le drame qu’il vit. Faisant fi de sa propre peur, elle qui va mourir, accepte tout. Et tente d’atténuer la peine des autres.

La Storgé de  Marie-Nicole Lemieux confirme que la mezzo canadienne a de vraies qualités pour le répertoire baroque. C’est superbement chanté avec tout l’investissement dramatique dont elle est capable qui donne un relief formidable à son personnage. Tout juste pourra-t-on regretter quelques accents “véristes” qui n’ont rien à faire dans la partition de Haendel, qui surprennent donc, sans totalement déplaire pour autant...

Magnifique Hamor du contre-ténor Tim Mead qui en combattant jeune et barbu, style guerillero, et en amoureux fou d’Iphis, campe lui aussi un personnage haut en couleur et quelle voix ! Un contre ténor dramatique qui abandonne tout “pathos” pour chanter son rôle avec la force et les nuances d’un personnage qu’il joue par ailleurs avec beaucoup de vérité.

Le Zebul de Philippe Sly est sans doute l’incarnation la plus pâlichonne mais le rôle est également le moins intéressant et le baryton ne démérite nullement. On le remarque moins que ses partenaires, sa voix reste sans doute aussi davantage confinée sur le plateau.

Quant au numéro d’Ange du jeune contre-ténor Valer Sabadus, je sens qu’il aura ses afficionados inconditionnels rapidement : joli, charmant, un peu vert peut-être mais le rôle s’y prête.
Je ne raconte pas la fin de l’opéra, trop amusée par mes voisins qui en sortant de la salle disaient : “ah pour une fois que je ne sais pas à l’avance comment un opéra se termine”.

Joli succès global pour cette Première, avis divers à la sortie, notamment à propos de l’oeuvre elle-même, quelques critiques à Christie que certains ont trouvé manquant d’imagination, quelques huées sans plus pour Guth (beaucoup plus d’applaudissements).




Les petits plus : quelques extraits de l'oratorio

Dans la mise en scène de Guth mais à Amsterdam (fin 2016)

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